31/03/2013

DES FUNÉRAILLES A COUPER LE SOUFFLE

Trois mois s’étaient écoulés depuis le décès de Papa Andoh. Toute la famille au grand complet était réunie au domicile familial attendant l’arrivée du fils prodige. Les parents du village avaient aussi effectué le déplacement. Depuis Paris, Prospère avait sollicité la réservation de plusieurs cars de 70 places pour les parents, amis, connaissances et collègues qui souhaiteraient se rendre au village pour les funérailles de son Père.
Pour assurer leur hébergement au village, il avait aussi réquisitionné tous les petits hôtels de la sous-préfecture. Et pour la réception, il avait fait la location de toutes les bâches et toutes les chaises des agences de location de bâches et chaises de la sous-préfecture. Afin de rassurer les différents fournisseurs, Prospère envoya l’argent pour le paiement des 50% d’avance de tous les services réservés. Tous les fournisseurs furent payés à l’avance. Il promit dès son arrivée au pays, d’acheter tout le nécessaire alimentaire et non alimentaire pour les veillées funèbres et l’enterrement. Il prévoyait même dix bœufs bossus, des centaines de cartons de poissons, des centaines de cartons de cannettes aussi bien en bière qu’en sucrerie, des dizaines de cartons de liqueurs et des dizaines de cartons de vins bouchés de bonne qualité. La famille n’avait rien à débourser. Prospère prenait tout en charge de A à Z.
Prospère était l’aîné de sa famille. Son père, Papa Andoh était marié à Elisabeth avec qui il eut deux garçons. Dès la classe de Troisième, Prospère abandonna les bancs. Il voulait aller en France et pour lui s’asseoir dans une salle de classe était une perte de temps. Il préférait plutôt faire les petits métiers. « Se chercher » selon ses propres termes. Dès lors, il commença à multiplier les sorties malgré les invectives de son père et de sa mère. Prospère partait de la maison à 5h du matin et revenait le soir à 23h. Personne ne savait ce qu’il faisait. Cependant plusieurs parents du quartier venaient souvent dire à Papa Andoh qu’ils rencontraient fréquemment Prospère en compagnie de personnes peu recommandables. Tantôt on le voyait au quartier des affaires, tantôt c’était dans les environs de l’aéroport. Un jour, un parent du quartier vint rapporter à Papa Andoh qu’il avait même aperçu Prospère en compagnie d’un caucasien dans les envions de Marcory Zone 3. Un autre jour, un autre voisin vint rapporter l’avoir vu dans une voiture personnelle conduite par une libanaise. Chaque fois qu’il y avait un voisin du quartier qui entrait chez les Andoh, on pouvait aisément imaginer le but de la visite. Toujours le même Prospère. Et à chaque fois que le visiteur du jour repartait de la maison, Papa Andoh prenait à parti Prospère. Il lui posait toujours les mêmes questions auxquelles Prospère donnait toujours les mêmes réponses. Des réponses insatisfaisantes. Et son père, en colère finissait par le battre. Si ce n’était pas la bastonnade, Papa Andoh lui tenait des propos très acerbes. C’était ainsi jusqu’à ce qu’un jour, ne pouvant plus supporter les brimades de son père, Prospère partit de la maison familiale. Mais avant de s’en aller, il jura à son père que celui-ci entendrait bientôt que lui Prospère Andoh est allé à Paris. Effectivement, deux ans plus tard, un parent du quartier vint annoncer à Papa Andoh qu’il avait aperçu Prospère à l’aéroport, montant abord d‘un avion de ligne Abidjan-Paris. Papa Andoh n’y croyait pas. Quelques semaines après son arrivée à Paris, Prospère lui-même téléphona à la maison et parla à son père. Il lui annonça ironiquement qu’il était à Paris. Papa Andoh demanda à Prospère comment cela avait pu être possible ? Prospère lui répondit que c’était grâce à ces affaires personnelles. Mais Papa Andoh qui avait toujours à l’esprit ce que lui avaient raconté les voisins s’inquiéta : « J’espère que tu n’as pas commis de gaffe pour parvenir à réaliser ton rêve ? ». Prospère rassura son père.

Prospère Andoh, le fils de Papa Andoh, était allé en France alors que la situation économique du pays était vacillante. C’était la période où le consulat de France délivrait difficilement des visas aux ivoiriens. Le pays de la liberté, comme on l’appelle, avait décidé de limiter les immigrations à cause de la crise économique qui pointait à l’horizon en Europe. En cette même période, les relations diplomatiques entre les deux pays n’étaient pas non plus au beau fixe. Et pourtant, c’est en ces temps difficiles que Prospère avait quitté le pays. Par quel miracle ? Comment Prospère avait-il financé son voyage à Paris, la ville de ses rêves ? Personne, ni même ses parents ne le savent. Toutefois, ceux qui ont eu l’occasion de le côtoyer savaient que Prospère n’avait cesse de parler de la capitale de la France. Paris, la ville lumière. L’eldorado. Pour y vivre, Prospère disait toujours qu’il était prêt à faire n’importe quoi. Pour lui, c’était voir Paris ou mourir. Il avait fini par réaliser son rêve.
Dès la première année de son aventure en France, il avait fait la connaissance d’Edwige. Koffi Aya Edwige, la petite amie de Prospère, était arrivée en France bien des années avant lui. Naturalisée Française, elle était célibataire et sans enfant. Edwige avait vu en Prospère l’élu de son cœur lors d’une soirée de la communauté ivoirienne. L’année suivante, ils eurent une fillette. Cette paternité facilita la procédure d’acquisition du titre de séjour de Prospère. Mais dès que Prospère eut obtenu son titre de séjour, il se sépara de sa jeune épouse Edwige. La jeune dame comprit alors que l’amour que lui vouait son ex-époux n’avait été qu’intéressé. Un amour comme celui qu’offre la plupart des hommes noirs qui débarquent en France « sans papier ». Prospère était bel et bien de ceux-là. En effet, pour son voyage à Paris, le jeune homme avait obtenu son visa et son billet d’avion après avoir versé une somme de deux millions de FCFA au Manager d’un groupe artistique. En son temps, le manager de la troupe artistique avait hésité à inscrire Propsère sur sa liste de danseurs professionnels. Il doutait de la provenance de cet argent surtout que Prospère ne lui parlait jamais de sa famille. Mais pour finir, il se laissa convaincre par le jeune homme lorsque celui-ci lui promis cinq cent mille francs en guise de reconnaissance s’il l’aidait à réaliser ses rêves.
Lorsque Prospère quitta Edwige, il s’attacha à une riche septuagénaire. Françoise Leriche était Française d’origine. Elle habitait la ville de Fontainebleau, en région parisienne. Elle avait été mariée à Pierre Leriche pendant 20 ans.  M Pierre Leriche mourut dans des circonstances douteuses lors d’un voyage d’affaire en Afrique. C’est de son mariage avec Pierre que Françoise hérita de toute sa fortune. En fait, après le décès de Pierre Leriche, tous ses biens furent légués à son épouse Françoise conformément à son testament. La vieille Françoise aimait sincèrement Prospère et était heureuse de sa nouvelle relation. Elle se sentait revivre avec ce jeune et dynamique africain. Elle vit en Prospère le mari idéal qu’elle n’avait jamais eu. En effet, Françoise est une femme très capricieuse de nature. En plus de cela, elle a constamment des sauts d’humeur qu’elle même maitrisait difficilement. Son défunt mari ne le supportait pas et c’est ce qui l’emmenait à inventer des missions et voyages un peu partout. Mais, Prospère au contraire la supportait bien. Il trouvait les moyens de surmonter toutes les caprices et les humeurs de Françoise. En réalité, Prospère avait plus à gagner en restant avec Françoise plutôt que de risquer de la perdre. Il pensait aux avantages pécuniaires et matériels qu’il retirait de cette relation. Cette cupidité, Prospère la dissimula si bien que Françoise ne s’en rendit pas compte. La vieille et le jeune Prospère vivaient paisiblement leur idylle dans une grande maison appartenant à M Leriche. Mais au bout d’un an, Françoise mourut d’une crise cardiaque. Prospère fut très affecté par ce décès inattendu. Mais très vite sa tristesse fut changée en joie lorsque l’avocat de Françoise vint annoncer à Prospère que c’est lui qui était l’heureux héritier de la vieille. Tout ce que M Leriche avait légué à Françoise, ainsi que tous les biens propres de Françoise lui revenaient selon le testament de la vieille.

Mon père me disait, « Il faut savoir d’où tu viens pour mieux préparer où tu vas. ». Le fortuné Prospère, décida de garder la tête sur les épaules. Il prit la résolution de se donner une personnalité à la hauteur de sa fortune. Il décida de vivre tranquillement en France, se faisant oublier et enterrant son passé pour s’intéresser au futur. De temps en temps, par l’intermédiaire de son père, il participait aux cotisations fixées dans son village lors de certains évènements malheureux ou heureux. Au fur et à mesure, les gens commencèrent à parler du Fils de Papa Andoh. Sa gentillesse dépassait maintenant les bornes de sa famille et de son village. Plusieurs, sans l’avoir jamais vu, bénéficiaient de la générosité de Prospère. Désormais, aucune décision importante ne se prenait dans la famille voire dans le village sans avoir consulté Prospère. Il était la cheville ouvrière de la famille, la colonne vertébrale du village et le cerveau de la région. Pour finir, tous ne juraient que par lui. Grâce à Prospère, la famille Andoh était respectée. Et Papa Andoh était honoré partout où il se présentait.

Plusieurs années après, Prospère faisait la fierté de toute la famille. Son père, à la retraite n’en démordait pas. Papa Andoh avait oublié toutes ses craintes et tout ce que lui racontaient ses voisins au sujet de son fils. Il aurait maintenant voulu voir son fils pour le serrer dans ses bras. Mais à chaque fois que son père émettait l’idée de le voir, Prospère disait que ce n’était pas encore le moment. Son père lui disait « mon fils j’ai pris de l’âge, est ce que c’est mon cadavre que tu viendras voir ? ». Ces mots étaient certes forts, mais  traduisaient combien Papa Andoh désirait voir son fils Prospère. Mais à cette question, Prospère répondait « Ne dis pas cela Papa. Tu vivras encore et je viendrai te voir en bonne santé. Sinon, je te ferai venir ici.». Et quand Papa Andoh lui demandait pourquoi il ne venait pas maintenant, Prospère répondait qu’il lui fallait encore beaucoup travailler. A chaque fois, c’était le même refrain jusqu’à ce qu’il soit informé du décès de son père. Papa Andoh était décédé des suites d’une très courte maladie. Ce fut un grand choc moral pour Prospère. Son père aimé, son père à lui, était mort. Son père qu’il aimait malgré tout. C’est donc chargé de cette douleur qu’il décida d’organiser de grandes funérailles pour son père. Des funérailles dignes du père d’un fils  qui a réussi.
Chez nous, quand on dit qu’un fils a enterré son père ou sa mère, ce n’est pas le fait qu’il ait participé à le mettre en terre. C’est plutôt à cause des moyens financiers que le fils engage lors des cérémonies préliminaires. En général, à l’annonce d’un décès, les parents, les amis et les connaissances du défunt se déplacent auprès de la famille éplorée pour la soutenir et partager ses peines. En retour, la famille éplorée se doit d’assurer la prise en charge de tous les visiteurs. Ce qui veut dire petit déjeuner, déjeuner et dîné pendant tout le temps de leur présence. N’ajoutez pas les boissons alcoolisées et vous verrez que les convives commencent à se plaindre. Quelques fois, il faut même assurer les frais de transport retour de certaines personnes venues vous soutenir.
Lors du décès de papa Andoh, il fallait aussi s’attendre à une multitude de personnes venant soutenir la famille éplorée. En effet, Papa Andoh était très connu et apprécié par beaucoup de personnes. Sa célébrité s’était encore accrue grâce à son fils. Prospère en était conscient. Lui-même savait que dès l’annonce du décès de Papa Andoh, la famille serait très vite débordée par les visiteurs. Il réalisa donc aisément qu’il ne devait pas attendre longtemps avant de rentrer au pays. Toutefois, il lui fallait une très bonne préparation. On ne débarque pas du jour au lendemain chez soit après 10 ans d’absence. Aussi, suggéra-il que l’enterrement soit planifié dans les 3 mois suivants. Il voulait des cérémonies funéraires dignes du fils qu’il était devenu. En fait, Prospère souhaitait aussi, par ce geste clouer le bec à tous ses détracteurs d’entant. Tous ceux qui, non seulement le montaient contre son père mais aussi le traitaient de va-nu-pieds.
Le corps de Papa Andoh devrait donc être conservé à la morgue jusqu’à son retour au pays dans les trois mois qui suivent. Son frère essaya de s’opposer à sa décision. Mais très vite il céda car leur mère Elisabeth désirait voir son fils Prospère. Elle ne voulu pas faire objection de peur que Prospère ne renonce à son arrivée au pays. En fait, Prospère avait indiqué à son frère que soit on attendait trois mois et il participe physiquement et financièrement à l’enterrement, soit on le faisait plus tôt et il ne s’implique pas. Dès lors, Prospère décida de prendre en charge toutes les dépenses liées aux funérailles.

Chose promise chose faite. Les jours qui suivirent l’annonce du décès de Papa Andoh, Prospère envoya une importante somme d’argent pour les dépenses préliminaires et la réception des nombreux invités. Durant trois mois, hommes, femmes, jeunes, vieux et enfants défilèrent chez les Andoh. Au village comme à Abidjan. Il y eu de la nourriture et de la boisson en abondance. Chaque jour, on voyait arriver chez les Andoh de nouvelles personnes. Parents, amis, connaissances, collègues. Tous avaient droit au petit déjeuner, déjeuner ou dîner selon l’heure de la visite et la durée du séjour. Jamais funérailles ne s’étaient déroulés ainsi. Les gens disaient : S’il en est ainsi en l’absence de Prospère, qu’en sera t-il alors en sa présence ?

Ce matin du jour de son arrivée, alors que les discussions familiales se poursuivaient par petits groupes, un oncle de Prospère reçu l’appel téléphonique de son neveu. La conversation dura quelques minutes. Prospère voulait être rassuré que tout était prêt. Il profita pour confirmer que son vol était prévu pour atterrir à 18h35. Et pour ne pas attirer des regards, Prospère exigea que seul son oncle et son frère cadet viennent l’accueillir à l’aéroport. Toute la journée, la famille réunie continuait de parler de Prospère et de tout ce qu’il avait déjà fait. Dans la soirée, trente minutes avant l’arrivée du vol air France, l’oncle et le frangin étaient déjà à l’aéroport.
Dans le hall, les écrans d’information indiquaient que le vol Air France était bel et bien à l’heure. Dès que la speakerine annonça l’arrivée du vol Air France, plusieurs personnes s’avancèrent vers la porte d’où sortaient les nouveaux arrivants. On entendit encore quelques 30 minutes avant de voir les premiers voyageurs faire leur apparition dans le hall d’accueil. Dès qu’une personne faisait son apparition s’était la grande joie pour ceux qui étaient venus l’accueillir. On célébrait autant qu’on le pouvait les retrouvailles entre parents et amis. Au fur et à mesure, la fréquence de sortie des arrivants augmentait. Alors que certains criaient de joie, d’autres mourraient d’impatience de ne pas voir leur hôte. L’oncle et le frangin de Prospère étaient de ceux-là. Au milieu de cette foule disparate, en voyant comment les autres personnes manifestent leur joie,  l’oncle et le frère de Prospère s’imaginaient quelle serait leur réaction à la vue du fils prodige de la famille Andoh. Le reconnaitraient-ils ? Mais depuis bientôt une heure et demi que les premiers voyageurs étaient sortis de l’aéroport, les parents de Prospère attendaient encore. Le hall se vidait. Il ne restait plus qu’une poignée de personnes. Les intervalles de sortie entre les voyageurs étaient de plus en plus longs. Les hôtes de Prospère s’impatientaient de plus belle. Ils regardaient leurs montres. Ils se regardaient. « Pourquoi tardait-t-il à sortir ? ». Ils se dirent qu’il avait certainement beaucoup de bagages. Les agents de douane fouillent beaucoup les personnes qui débarquent des vols venant de la France. Ils les soupçonnent de transporter illégalement des articles destinés au commerce intérieur. L’idée que Prospère était certainement entrain de subir les tracasseries douanières leur donna de l’espoir. Ils attendirent encore une trentaine de minutes. Prospère ne sortait toujours pas. Le hall recommença à recevoir des nouvelles personnes. La speakerine de l’aéroport annonça l’arrivée d’un autre vol en provenance d’un autre pays. Et toujours pas de Prospère. Ils étaient toujours dans le hall quand les voyageurs du vol Air Sénégal commencèrent à faire leur apparition. Alors, les hôtes de Prospère perdirent tout espoir de le voir. L’oncle décida alors de se renseigner. Il s’approcha d’un agent de la sécurité aéroportuaire qui lui indiqua le bureau de renseignement approprié. Là, il apprit que Prospère Andoh était bel et bien l’un des passagers du Vol Air France du jour. Malheureusement, depuis 10 ans, il était recherché par la police judiciaire. Il avait été fiché dans leur base de données pour trafique de drogue, vol à main armée, association de malfaiteurs et participation au meurtre d’un homme blanc. Lors de la présentation de son passeport et de son enregistrement à l’entrée, le système avait déclenché l’alerte qui permit de contacter la police judiciaire afin de l’épingler. L’homme, un capitaine de la police des airs et frontières, annonça que Prospère Andoh a été transféré manu militari à la Maison d’Arrêt et de Correction pour répondre de ses actes. Selon lui, il  encourait une peine minimum de 25 ans de prison ferme. L’oncle ayant appris cela fut effondré. Le frère de Prospère, sans hésitation, alerta immédiatement l’ensemble des membres de la famille à Abidjan et au village. Lorsqu’Elisabeth, la mère de Prospère apprit la nouvelle, elle tomba évanouie. Les efforts pour la ranimer furent vains. On la transporta au centre de santé le plus proche. En chemin, son cœur arrêta de battre.

Depuis cette année-là, les habitudes du village vis-à-vis des morts changèrent catégoriquement. A l’unanimité, ils prirent la décision de faire enterrer les morts dans les 2 semaines qui suivent le décès. Plus jamais une famille ne devrait attendre ni parents ni amis venant de n’importe où quelque fut la raison pour soit disant prendre en charge les funérailles. De plus, on ne devrait plus jamais dépenser au-delà de  500 000FCFA lors des funérailles. Il en fut ainsi dans ce village jusqu’à ce jour.

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