29/05/2013

LES HERBES DU DIABLE

La maison bleue, telle était le nom donné à la plus belle bâtisse du quartier millionnaire. Elle avait été construite par un homme peu connu du quartier. Plusieurs disaient de lui qu’il avait pactisé avec le diable pour s’enrichir. Mais, cela n’est pas surprenant qu’on le dise. Dans nos pays sous les tropiques, on ne devenait jamais riche normalement. Tout comme on ne mourrait jamais d’une mort naturelle. Il y a toujours un parent sorcier qui cause la mort dans la famille.  Pareillement, il y a toujours une alliance démoniaque à l’origine d’une grande prospérité.
La maison bleue était une imposante bâtisse qui surclassait toutes les autres maisons du quartier millionnaire. Construite non loin de la voie principale du quartier, elle ne laissait personne indifférent. Elle se distinguait par sa couleur bleue, sa grandeur et l’éclat des matériaux utilisés pour sa construction. C’était un duplex de 8 pièces. Son  garage pouvait recevoir 4 véhicules de type 4x4. Un vergé et un vaste jardin floral ornait sa cours intérieure. Le vergé et le jardin floral étaient composés respectivement d’arbres fruitiers exotiques et de toutes sortes de fleurs de diverses origines. Bâti sur une superficie de 2000m², le domaine était aussi entouré d’une clôture de briques haute de 4 mètres. La clôture était revêtue entièrement de marbres importés d’Italie. Selon les quelques personnes qui avaient la chance d’accéder à la maison bleue, l’intérieur était encore plus frappant. Confort, aisance, luxe et prestige y cohabitaient. Tout cela fit de la maison bleue la plus convoitée du quartier millionnaire. Pourtant, personne n’osait l’habiter. Pas que personne n’eusse l’intention de la louer. Mais, tous ceux qui y avaient aménagé dès les premiers jours, n’y séjournèrent pas plus d’une semaine. Au bout de quelques jours, ils déménageaient. C’est ainsi que la maison bleue n’eut plus de client 12 mois après son ouverture. Les riverains avaient commencé à dire que la maison bleue était hantée. Mais tout cela n’était que spéculation. On ne savait pas la vraie raison de ces arrivées et ces départs subits de la maison bleue.
Depuis que le dernier locataire était sorti de la maison bleue, trois années s’étaient écoulées. Des épaisses toiles d’araignée se constituèrent dans les coins et recoins de la clôture et du mur intérieur. Le revêtement de marbre sur la clôture extérieure avait fini par perdre son éclat. De grandes herbes visibles de l’extérieur supplantaient la cours  intérieur et ses alentours. L’Agence immobilière qui était chargée de la gestion de ce patrimoine avait aussi démissionné. Suite aux multiples renonciations et contestations sans explication des premiers locataires, aucune autre agence n’accepta de reprendre la gestion. On se demandait où était passé son propriétaire. Pour finir, elle tomba en ruine de sorte à  devenir l’abri du célèbre fou du quartier millionnaire.

Mian le fou était bien connu dans le quartier pour être un fou imprévisible. Personne ne savait d’où il était venu. On avait été surpris un jour de voir qu’un fou avait fait son apparition dans ce quartier chic. Mian le fou était à craindre. Il tenait toujours une machette en main. On ne savait pas non plus d’où il la tenait. Mais lorsqu’il approchait, les habitants du quartier qui le voyaient lui cédaient grandement le passage. De peur d’être subitement pris pour cible par le fou. En fait, Mian le fou tournoyait violemment sa machette en l’air puis à terre dans un rituel machinal en prononçant des paroles imperceptibles. Le fou ne restait jamais dans un même endroit deux jours de suite. Le premier jour, on le trouvait assis près des poubelles d’une concession. Le lendemain, les locataires, craignant pour leur vie, le chassaient à coup de bâtons. Mian le fou avait été délogé plusieurs fois en divers endroits par les habitants du quartier millionnaire. Dans son infatigable randonnée, il se retrouva du côté de la maison bleue. Il ne fut pas chassé ce jour là. Le fou du quartier millionnaire venait alors de trouver sa tanière. De là, chaque matin, Mian le fou s’en allait faire le tour du quartier. A la tombée de la nuit, il revenait à la maison bleue, précisément au niveau du portail. Il s’endormait jusqu’à 8 heures du matin le lendemain.  Ensuite, la journée reprenait encore et encore. Pour finir, la maison bleue devint la maison du fou.

Un matin, tout était bien calme autour de la maison bleue. Le soleil ne s’était pas encore levé. Et Mian le fou dormait recroquevillé sur lui-même comme d’habitude. Un homme d’une allure étrange, avançait vers la maison. L’inconnu avait l’air éprouvé par les nombreux soucis de la vie. Il semblait exténué par les multiples souffrances qu’il avait dû subir. De loin, il remarqua la présence d’un être devant le portail. L’homme se demandait qui pouvait bien être devant sa maison. S’étant approché, il observa attentivement Mian le fou qui dormait encore la machette au poing. Ses vêtements, du moins, le reste de ce qui avait autrefois été ses vêtements étaient très sales. Sur sa tête, ses cheveux avaient formé des dreadlocks qui avaient roussis à cause de leur exposition à la poussière et soleil aride. A voir Mian, l’homme se dit qu’il ne pouvait s’agir que d’un aliéné mental. Pourtant, après quelques secondes d’observation, le visage du fou lui semblait familier. Une pensée lui vint à l’esprit. Tout d’un coup, les battements de son cœur s’accentuèrent. Il eut la chair de poule et ces membres semblaient alourdis. Tout tremblant, il sortit un trousseau de clé de sa poche et ouvrit le portail. Après un tour rapide à l’intérieur, il revint à côté du fou. Avec beaucoup d’effort, il le souleva et le fit entrer dans la maison. L’homme alla coucher Mian le fou dans une des chambres au rez-de-chaussée. Puis, s’étant assis près de lui, il le dévisagea à nouveau. Sans qu’il ne puisse se retenir, les larmes se mirent à couler de ses yeux. Il était désemparé, honteux et brisé. L’homme venait de reconnaître parfaitement son fils unique. Celui qu’il avait sacrifié dans le but de s’enrichir.
En ce temps là, Mian venait d’avoir 18 ans. Son père qui souhaitait s’enrichir après plusieurs années de disette, n’eut pas d’autres idées que de consulter un féticheur. Ce dernier avait demandé à l’homme qu’il devrait sacrifier son fils unique s’il voulait s’affranchir de sa misérable vie. Malgré le refus de sa femme qui lui disait qu’il fallait plutôt s’en remettre au Seigneur car selon les écritures  « l’Or et l’Argent appartiennent à Dieu », l’homme décida de s’engager sur son chemin. Tout ce que sa femme fit pour l’empêcher de sacrifier leur fils n’aboutit pas. L’homme exécuta sa diabolique besogne.

8 ans après, l’homme voyait le résultat de son choix. Il réalisa tout le mal qu’il avait fait à son fils et à lui-même. Il s’en voulait et en voulait à la vie. Surtout qu’il se rendait compte qu’il n’avait pas pu s’affranchir de sa misère après toutes ses années. Le seul résultat de son sacrifice était un fils atteint de folie et une maison en ruine que personne n’acceptait d’habiter. Il était désespéré. Après un moment de réflexion dans le silence de sa maison, l’homme, propriétaire de la maison bleue, prit la décision ultime. Mourir avec son fou de fils dans sa maison bleue de malheur. Mais comment faire mourir son fils et mettre aussi fin à sa propre vie? Il sortit de la chambre en cogitant. Le fou dormait toujours.
De la chambre, il fit un tour dans le jardin. C’est alors qu’il se souvint de ce que lui avait dit son vieux fleuriste. Il y a quelques années, à propos d’une famille de fleur, le vieux lui disait : «Celles-ci sont des fleurs nommées Daturas. Elles sont très belles tu vois ? Mais, il faudra beaucoup faire attention à elles. Ce sont des fleurs empoisonneuses allant jusqu’à entrainer la mort bien qu’ayant des propriétés médicinales souvent exploitées. C’est pour cela qu’elles sont aussi appelées les herbes du Diable». Il s’en est souvenu comme si c’était hier. Et il en avait retenu que les Daturas étaient des plantes empoisonneuses et mortelles. Aussi, était-il certain d’avoir trouvé la solution recherchée. L’homme recueillit les feuilles des différentes Daturas de son jardin. En les frottant paume contre paume, il obtint une potion liquide. Il en ingurgita une partie à son fils et avala l’autre partie. Son fils, le fou ne se réveilla toujours pas. Quant à lui, il commençait à sentir son corps chauffer. Il hallucinait et son pouls s’accentuait. Maintenant, il semblait voir du noir et ne sentait plus ses membres. Au même moment, il se demandait comment devait se sentir son fils Mian. Sur ce, il se coucha tout près du fou et attendit que la mort vienne les enlever.

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Des jours s’étaient écoulés et on ne parlait plus de Main le fou dans le quartier. Pour parler comme la célèbre chanteuse ivoirienne Bétika, le fou était apparu comme la lune et le soleil dans la vie des riverains du quartier millionnaire et il disparut de la même façon. Les rumeurs de sa mort se rependaient. Au même moment, la maison bleue commençait à susciter l’intérêt de plusieurs. En fait, des informations persistantes provoquaient de plus en plus la curiosité des riverains. Des voisins avaient rapporté que depuis un moment, ils entendaient des bruits venant de l’intérieur de la maison bleue. Selon eux, quelqu’un serait encore entrain d’y aménager. Toutefois, nul n’osa s’en approcher jusqu’au jour où un homme en sortit. Ceux qui rodaient aux alentours ce jour là s’empressèrent de voir le nouveau locataire. Lorsque le portail fut ouvert, ils virent un homme impeccablement habillé en sortir. Les longs cheveux qui descendaient sur son épaule lui donnaient une allure particulière qui attira davantage leur curiosité. Après les avoir salué dans un français clair, le nouveau locataire se dirigea vers la route.  Il avançait avec une démarche sereine, une mallette à la main.  Au niveau de la route principale, il arrêta un taxi et y monta. Après que le taxi eut  démarré, ceux qui avaient observé le nouveau locataire se dirent les uns aux autres : « N’est ce pas celui qu’on disait fou dans le quartier ? ». Toutefois, ils ne tirèrent aucune conclusion hâtive. Le soir, le nouveau locataire revint de la ville. A nouveau, il salua poliment ses voisins avant d’entrer chez lui, dans la maison bleue. Cette fois-ci, ils étaient convaincus. C’était bel et bien Mian le fou, lucide et propre. Ils n’en croyaient pas leurs yeux. Les jours qui suivirent, la nouvelle de la guérison du fou et de l’occupation de la maison bleue  fit le tour du quartier. Mais, une seule question restait suspendue aux lèvres : Comment Mian le fou avait-il été guéri? Personne n’osait poser la question au nouveau locataire de la maison bleue. Ainsi, jusqu’à ce jour, la guérison du fou du quartier millionnaire reste encore un mystère. Les riverains conclurent que «La vie nous réserve vraiment des surprises».

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