09/04/2017

DRAME AU CAMPUS A


Le Campus A était le plus grand campus de l’unique université nationale du pays. Il était sur le site originel de l'université. Cette université qui avait été construite quelques années seulement après l’indépendance recevait l’ensemble des bacheliers du pays. Là avait
été formé la plupart des cadres de la nation. Ils devaient tout à cet institut de formation qui jadis faisait la fierté du pays. Et oui, nous sommes tous fiers d’avoir transité par cette université, temple du savoir et de la joie.
Je me souviens encore de ses belles rues propres comme celles de Paris en hiver. Des poubelles étaient disposées partout dans la vaste et verdoyante cours ainsi qu’aux abords des voies piétonnes. Etudiants, nous attendions toujours d’arrivée auprès de l’une de ces poubelles avant de nous débarrasser de nos mouchoirs et autres objets indésirables. Aucun papier ne trainait alors par terre. Aucune feuille morte ne séjournait plus de 24 heures sur la chaussée. Les balayeuses faisaient avec plaisir leur travail. Tous les jours les espaces verts étaient bien entretenus. Les gazons taillés à niveau comme ceux du château de Fontainebleau en banlieue française étaient arrosés par un système de jets d’eau automatique. Nous étions alors obligés, sans contrainte aucune mais comme un automatisme de la nature, de bien nous habiller pour ne pas déséquilibrer la beauté de l’environnement.
Nous étions pressés d’aller en amphi non pour lutter une quelconque place mais plutôt parce qu’il faisait chaud dehors. La climatisation intérieure, stimulant l’intelligence, attirait les étudiants avant même que le professeur ne soit arrivé. En Amphi, chaque étudiant avait sa place, un siège en fauteuil pliable. Il y avait même encore des places libres lorsque nous étions tous installés. Point besoin de nous réveiller très tôt pour espérer avoir la meilleure place ni de nous bousculer à l’entrée des amphis. Toutes les places étaient agréables. La communication entre les étudiants et les formateurs était sonorisée et bien amplifiée. Dans ces conditions, aucun étudiant ne manquait les cours.
Les salles de travaux pratiques étaient équipées. Très bien équipées d’ailleurs. Les expériences qu’on y effectuait participaient à une meilleure compréhension des cours théoriques que nous dispensaient les professeurs en amphi. Je crois que tout cela était à l’origine du taux élevé de réussite en notre temps.
Ne parlons pas des chambres. Les sanitaires, le réseau hydraulique, l’éclairage et la literie étaient impeccables. Les étudiants étaient logés à deux au maximum dans les chambres.
Le restaurant était un vrai restaurant. Les repas y étaient réalisés avec grand soin et précision par les meilleurs chefs du pays. L’université ne tolérait aucun retard ici. On ne devait quand même pas faire attendre les cerveaux du pays. Le président d’un pays voisin ne disait-il pas qu’ « Un homme qui a faim n’est pas un homme libre » ? Le sage ne disait-il pas aussi « Ventre affamé n’a point d’oreille ». Ces paroles étaient le leitmotiv du restaurateur désigné pour les restaurants de l’université. Il les avait même fait inscrire sur les murs de tous les restaurants. Les heures des petit déjeuner, de déjeuner et des dîner étaient des grands moments appréciés des étudiants que nous étions.
Parlons un peu du transport. Gratuitement, des bus étaient mis à notre disposition pour nos déplacements des résidences vers les différents centres de formation. Il y avait aussi des navettes pour déplacer les étudiants d’un point à un autre de l’université. Point de bousculade. En tout cas, en ce temps-là, doux était doux. Pour cause, La bourse était régulière. A la fin de tous les mois avant même que les fonctionnaires ne perçoivent leur salaire, nous les étudiants étions déjà payés. Nous étions vraiment les privilégiés.
Cependant au fur et à mesure que les années passaient, l’université se dégradait aussi. Même si elle faisait toujours la fierté de notre pays et des pays voisins, notre université avait perdu beaucoup en gloire. Les amphithéâtres étaient surchargés. Les amplificateurs et autres matériels du système de sonorisation ne fonctionnaient plus. Les fauteuils moelleux avaient fait place à des sièges en fer très inconfortables. Le système de climatisation n’était plus fonctionnel. Les évaporateurs n’accomplissaient plus leur mission initiale de dissipateur de fraîcheur. Ils furent donc supprimés. Le gouvernement en place avaient fait des efforts pour construire des bâtiments supplémentaires mais cela ne suffisait pas pour résoudre le problème d’effectif pléthorique. Chaque année des milliers d’élèves rejoignaient l’université. Pourtant les diplômés qu’elle produisait occupaient toujours les chambres dans les résidences universitaires. Le marché de l’emploi étant peu absorbeur, les diplômés feignant de suivre des cours dans d’autres filières, gardaient encore leurs chambres. De ce fait, les résidences étaient surchargées passant de 2 étudiants à 4 voire 8 étudiants par chambre. Les lits et les matelas lorsqu’ils existaient, n’étaient plus hygiéniques et sains. Les puces avaient fini par y établir leur demeure. Les étudiants qui avaient la chance de se voir attribuer une chambre, devaient maintenant pourvoir à la literie toute entière. Certains qui n’avaient pas les moyens, n’hésitaient pas à acheter des nattes pour éviter de dormir à même le sol. La plomberie était défaillante. Plusieurs tuyaux étaient bouchés. L’odeur fétide des eaux usées embaumait l’air. L’eau coulait dans les allées, sur les paliers et dans les toilettes. Le malheur était d’être au dernier étage en saison pluvieuse. Les dalles vieillissantes ne résistaient plus à la force de l’eau de pluie qui s’infiltrait dans les chambres en dessous.
Que dire du calvaire du transport. Le nombre de bus avait drastiquement diminué. Les élèves, étudiants et fonctionnaires du pays se livraient une bagarre sans merci pour se faire transporter dans les bus du transport publique. C’était un véritable parcours de combattant que de quitter une résidence pour se rendre en amphithéâtre et vis-versa. Dans ces conditions, plusieurs étudiants préféraient ne plus venir aux cours. De toutes les façons, les professeurs ne venaient en amphi que pour vendre des fascicules aux étudiants. Ce n’était plus le temps de faire de longs discours. Tout était dans les fascicules. Et malheur à celui qui ne s’en procurait pas. Une liste des acheteurs était dressée. L’étudiant qui se croyait le plus malin et qui n’achetait pas le fascicule était repéré. Son sort était réglé lors de la composition finale. Dieu seul sait combien d’étudiants ont échoué simplement parce qu’un professeur, insatisfait de n’être pas rentré dans ses fonds de production de fascicule, s’est fait justice. Pour couronner le tout, la bourse qui a elle seule aurait pu soulager les étudiants submergés par les charges fut supprimée. Du fait des problèmes financiers, plusieurs jeunes gens qui  avaient un avenir brillant devant eux se convertir en chauffeurs de taxi. Plusieurs filles devinrent des prostituées. A ce jour le seul acquis que l’université nationale avait pu préserver était le restaurant du Campus A. Une partie du prix des tickets de ce restaurant était encore subventionnée. Grace à cela, plusieurs étudiants supportaient encore le calvaire. Mais pour combien de temps ? se demandait-on.
Il ne passait pas un jour sans que des groupes d’étudiants n’exprimassent leur mécontentement aux responsables de l’université. Il devenait impératif de trouver un plan de redressement de l’université. Et c’est pour en discuter que Djakiss recevait ses camarades du bureau national de la fédération des étudiants. Djakiss était le secrétaire général du syndicat des étudiants. La trentaine, il était syndicaliste depuis l’école primaire. Il avait passé les 11 dernières années à l’université. Il avait connu aussi bien les années de gloire de l’université que celles de sa décadence actuelle. Ne me demandez pas comment Djakiss est resté à l’université pendant toutes ses années au vu et au su des autorités universitaires. Il y a certainement une bonne raison. Dans tous les cas, Djakiss le secrétaire général jouissait d’une grande admiration de la part des étudiants. Il disait tout haut ce que tout le monde pensaient tout bas. Sa proximité avec ses camarades étudiants et son implication dans leur vie personnelle à certain niveau, dans les bons et les mauvais moments, faisait de lui une personne très écoutée. Aussi ses mots d’ordre étaient-ils bien suivis par l’ensemble des étudiants.
Djakiss et les membres de son bureau en conclave, discutaient depuis l’après-midi des problèmes des étudiants. Le bureau exécutif comptait faire de nouvelles propositions aux autorités universitaires et gouvernementales. Mais aux environs de 20h, l’animateur du journal télévisé fit une annonce qui attira leur attention. Un drame était survenu au restaurant du Campus A. Lorsque Djakiss et ses camarades entendirent mentionner le mot « campus », leur attention se fixa immédiatement vers le petit poste téléviseur disposé dans la chambre. Le journaliste annonça qu’une étudiante venait de trouver la mort. Sur le plateau du journal télévisé, le président de l’université donnait des explications devant toute la nation sur le malheureux incident de la journée. Le drame était survenu après le repas de midi. Le président de l’université et toute la direction s’inclinait devant la mémoire de mademoiselle Akaya Germaine, étudiante en Licence 2 de mathématiques et physique. Elle était la seule étudiante qui avait trouvé la mort suite à une diarrhée aigüe avant même que les médecins et infirmiers du centre hospitalier le plus proche ne fussent alertés et déployés au campus A. Heureusement les mesures urgentes prises avaient permis de sauver les autres étudiants. Ils étaient maintenant en observation. Dans la journée, cette nouvelle avait vite fait le tour des rues de la capitale telle une traînée de poudre. En quelques heures tout le monde en parlait. Au marché, dans les collèges et lycées, dans les bars, dans les quartiers on ne parlait que du drame survenu au Campus A. Seul Djakiss et ses camarades n’étaient pas informés. Heureusement qu’ils avaient toujours ce poste téléviseur lors de leur rencontre. A l’annonce du président de l’université, Djakiss et son bureau n’en revinrent pas. Ils ne pouvaient en croire leurs oreilles. Même si c’était seulement une étudiante, pour le bureau national s’en était de trop. Et dire que le président de l’université ou un membre de son administration n’eut pas même l’amabilité de les contacter. Quelques instants après, les téléphones portables des membres du bureau national n’arrêtaient plus de crépiter. Les appels fusaient de toutes les résidences universitaires. Ils étaient submergés de questions. La plupart des points focaux des réclamaient une rencontre la nuit même sur le sujet. Il fallait prendre une décision rapide. Djakiss entreprit donc d’informer les autorités de l’université de la tenue d’une réunion urgente au gymnase de l’université. Il composa le numéro de téléphone portable du secrétaire général de l’université. Il n’était pas joignable. Il appela son domicile. Aucune réponse. Il composa ensuite les différents numéros du président de l’université. Pas de réponse non plus. Il tenta encore de joindre les autres membres dirigeants de l’université. Personne n’était joignable cette nuit-là. Sans autorisation, mais l’heure étant grave, le bureau exécutif national décida de la tenue de la réunion. L’information fut passée aux étudiants par les moyens que seuls les membres du bureau avaient le secret.
Vers 21h30, le gymnase de l’université était plein. On n’eut pas besoin de siffler comme d’habitude pour faire sortir les étudiants de leur chambre et des salles d’études. Comme un seul homme, ils se rendirent au rendez-vous. Ceux des campus D et E, plus éloignés, n’étaient pas encore arrivés que la salle était comble. A un moment, on entendit « Au terrain ! »  « Au terrain ! » « Au terrain ! ». La rencontre se déplaça alors sur le stade de l’université qui offrait plus de capacité. Comme des fourmis, tous les étudiants convergèrent vers le stade. Les tribunes furent prises d’assaut comme pour voir un match de football de l’équipe nationale. On entendait des cris, des pleurs et de coups de sifflets partout. La mort de Germaine émouvait tout le monde. Rapidement, un podium fut improvisé au centre du terrain.
« Dja-kiss Dja-kiss Dja-kiss » entendait-t-on crier dans les tribunes.
Tout à coup une main revêtue de gant blanc se leva du milieu de la pelouse. Le calme se fit. Le secrétaire à l’organisation prit la parole. En quelques minutes, il précisa le but de cette rencontre nocturne, demanda à la foule de rester calme et confirma que le président Djakiss s’adresserait à eux dans les quinze minutes qui suivent. Après cela il continua à leur donner certaines informations et à présenter d’autres membres du bureau exécutif national qui prendrait avant le secrétaire général. Pendant ce temps, Djakiss était dans une des chambres du campus A. Il échangeait avec les amis de Germaine pour mieux comprendre les circonstances de la mort de leur camarade. C’était bien clair. Il s’agissait d’une intoxication alimentaire. Le président de l’université n’avait pas eu le courage de prononcer ce mot sur la chaîne nationale. Pour finir, il demanda aux membres de son équipe qui l’accompagnaient de rejoindre les autres.
A leur arrivée, la foule était excitée. Le secrétaire à l’organisation avait beau calmer les esprits, les étudiants étaient impatients d’entendre leur leadeur. « On veut Djakiss ! On veut Djakiss ! On veut Djakiss !» criaient-ils. Il était 22h30 quand Djakiss prit la parole.
« Chers camarades,
Je vous remercie pour ce déplacement massif que vous avez effectué de façon spontanée sans vous faire prier. Vous savez déjà ce qui nous réunit ici. Avant de continuer, je vous demande de vous lever. Nous allons observer une minute de silence à la mémoire de notre camarade Mademoiselle Akaya Germaine.»
Tous se levèrent et baissèrent la tête dans un grand silence. Les secondes qui suivirent, on pouvait entendre les bruits des insectes et des crapauds. Soixante secondes et Djakiss lança « Merci ». Tous se rassirent.
Debout au milieu de la tribune, Djakiss reprit la parole :

«  Chers camarades,
Comme je le disais, je vous remercie encore. Vous n’êtes pas venus ici pour moi parce que vous savez comment me voir.
Vous n’êtes pas venus ici pour un match car ce n’est pas habituellement à ces heures que les matchs se déroulent dans notre pays.
Vous êtes venus ici parce que l’heure est grave.
Vous êtes là Parce que vous voulez nous entendre sur ce qui s’est passé aujourd’hui dans notre université. Notre temple de savoir qui petit à petit se transforme en mouroir.
Il y a trois mois, le seul bus dont nous disposions pour les sorties plongeait dans le grand fleuve avec une dizaine d’étudiants à son bord. Aucun d’eux ne survécut. Il y a un mois le toit d’un amphithéâtre s’est détaché en pleine session. Alors que nous faisons encore le deuil des 8 étudiants décédés lors de cet incident, voici un autre qui frappe encore dans notre camp.

« Chers camarades, nous devons être forts.

Cette nuit, nous avons tous appris la nouvelle que vous savez. Mon équipe et moi étions en séance de travail pour préparer les nouvelles propositions à faire à nos autorités lorsque nous avons entendu le président de l’université à la télé. Aucune autorité universitaire ne nous a informés avant 20h. En tout cas moi Djakiss, personne ne m’a joint pour m’annoncer cela avant que je ne l’apprenne sur les antennes. Est-ce que vous trouvez cela normal ?

Je dis, chers camarades, est-ce que c’est normal ? » Répéta Djakiss

La foule criait « Non ! »
« Fou-taise ! Fou-taise ! Fou-taise ! » Entendait-on ensuite retentir dans les tribunes pendant un bon moment.

« Vous comprenez bien chers camarade.
Ils se foutent de nous. Mais nous ne sommes pas fous.

Chers camardes,
Avant de venir ici, j’ai tenté de joindre les responsables de cette université. De notre université. Et vous savez quoi ? Aucun téléphone n’était ouvert pour nous entendre. Est-ce que c’est normal ? Non !

Pourtant vous savez chers camarades,
C’était pour les informer de notre rassemblement. Je voulais leur expliqué que nous avions convoqué une réunion urgente à propos du drame survenu dans la journée et qu’il faille qu’ils acceptent cette réunion. Hélas !

Chers camarades,
Puisque nous ne sommes pas fous, je vous demande de garder le calme. Nous sommes sur le chemin pour améliorer la situation. Ce drame ne nous découragera pas. Ce drame ne nous éloignera pas des études. Au contraire, il nous galvanise. Et je puis vous dire que vous recevrez des directives claires demain après-midi. Demain matin, le bureau exécutif rencontrera le Président et nous reviendrons ensuite vers vous pour des clarifications concernant l’enterrement de notre camarde décédée.

Chers camarades,
Il est assez tard, vous êtes quand même venu jusqu’ici alors que plusieurs d’entre vous ont cours demain. Il ne faut pas qu’on nous dise, comme ils aiment à le dire, que nous ne voulons pas aller à l’école. Je vous demande, chers camarades de rentrer.
Votre président, le président Djakiss que je suis, tient la barre. Et il vous assure qu’il n’y aura pas d’autre Germaine dans cette université.
Chers camarades, je vous remercie ».
Avant de clore la réunion, le secrétaire à l’organisation donna rendez-vous aux étudiants le lendemain à l’heure du déjeuner devant le restaurant du campus A.
Cette nuit-là, les étudiants des autres campus qui avaient cours le lendemain ne rentrèrent pas chez eux. Avant de se rendre à la réunion, ils avaient pris les dispositions pour leur permettre de rester sur place jusqu’au jour suivant. Ceux qui n’avaient pas cours le lendemain matin attendirent la levée du jour pour se rendre sur leurs campus. Les étudiants ne dormirent pas cette nuit-là. Chacun s’imaginait la suite de cette affaire rocambolesque. Ici on critiquait l’attitude des responsables de l’université. Là, on accusait le gouvernement qui ne faisait rien pour que les choses s’améliorent. La nuit passa très vite et fit place au jour sans que les étudiants ne s’en rendent compte.
L’information du meeting nocturne entre les étudiants n’avait pas échappé aux responsables de l’université. Très tôt le matin, le président de l’université convoqua le secrétaire général. Djakiss qui n’avait pas fermé l’œil de la nuit, s’empressa de se rendre au domicile du Président de l’université avec quelques membres de son bureau. A leur arrivée, le président prenait son petit déjeuné. Dès qu’on annonça la présence de Djakiss, il abandonna son petit déjeuner et invita les étudiants dans son salon privé. Là, il demanda aux étudiants de sursoir à la réunion prévu le jour même.
- Avec tout le respect que nous vous devons monsieur le Président, c’est trop tard. Les étudiants ne sont pas retournés chez eux à cause de cette réunion. Ceux qui ne logent pas sur les campus et qui ont effectué le déplacement au meeting d’hier nuit sont restés sur place pour cette autre réunion. Vous comprenez donc l’état d’esprit qui prévaut. Notre objectif ce matin en tant que bureau exécutif sera de les rassurer que nous continuons à travailler avec vous à l’amélioration des conditions de vie des étudiants. Pour cela il serait souhaitable que vous nous soutenez en demandant à un de vos collaborateur de venir avec nous à cette réunion plutôt que de chercher à l’annuler. Monsieur le président, la frustration des étudiants est réelle et vous n’êtes pas sans l’ignorer. Ce malheureux incident est la goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase dans les prochains jours si rien n’est fait. Comme vous le savez le restaurant du Campus A était notre dernier acquis. Si ce qui fait notre force devient notre talon d’Achille, les étudiants ne sauront plus à quel saint se vouer.
- Je vous comprends, répondit le Président feignant de maintenir sa colère. Toutefois, vous êtes sans ignorer que le pays vit une crise économique sans précédent ces dernières années. Le gouvernement avec à sa tête le premier ministre fait mains et pieds pour trouver des solutions adéquates. Des mouvements sur le campus ne constituent pas une bonne image pour nos bailleurs de fond. Il faut donc mettre vos camarades au travail plutôt que de les inviter à des meetings qui ont l’allure de réunions politiques.
Le mot était lâché et cette dernière phrase ne fut pas du gout des membres du bureau exécutif. Mais le secrétaire général garda son calme.
- Monsieur le président, je suis heureux d’entendre que nous poursuivons le même objectif d’amélioration des conditions de travail des étudiants. Par contre, pourquoi voyez-vous toujours dans nos rassemblements, des élans politiques ? Des morts se succèdent. Cela ne vous dirait-il rien ? Nous comprenons que vos enfants sont tous en Europe pour étudier. Mais vous êtes quand même le président de l’Université. Notre président. Savez-vous combien votre présence physique auprès de nous aurait apaisé les esprits? Savez-vous…
Djakiss n’eut pas terminé sa phrase que le président l’interrompit.
- Monsieur Djakiss !  reprit le président qui se tenait maintenant debout. Voulez-vous me donner des leçons ? Nous savons que c’est Monsieur Ouandji qui vous pousse vous les étudiants. Depuis qu’il a décidé de se présenter à la présidentielle, l’instabilité ne fait que s'installer dans le pays. Alors je vous informe que votre bureau sera tenu pour responsable de tout ce qui surviendra sur la cité si vous n’annuler pas ce meeting tout de suite. Je ne veux plus entendre vos paroles irrespectueuses. Assez.
Il n’eut pas de point d’accord entre le président et l’équipe de Djakiss. Le meeting des étudiants fut maintenu à l’heure et au lieu indiqué. Toutefois avant de se séparé, Djakiss et son équipe rassurèrent le Président de l’université de leur désir de conduire cette réunion dans l’ordre et la tranquillité comme ce fut le cas pour la réunion de la veille. Après le départ des membres du bureau exécutif, le président de l’université rendit compte à sa tutelle. Sa tutelle informa aussitôt le ministre de l’intérieur. Ce dernier promit de prendre les mesures idoines pour préserver la tranquillité sur le campus.
De leur côté, les étudiants avaient pris d’assaut les amphithéâtres de bonne heure. D’autres circulaient dans la cours. L’ambiance était inhabituelle. Voir autant d’étudiants à cette heure si matinale était anormale. L’atmosphère était surchauffée. Les premiers enseignants qui se présentèrent ne firent pas cours. Ils se contentèrent de quelques commentaires sur le drame de la veille puis exprimèrent leur compassion aux étudiants. Vers 9 heures, le tumulte monta d’un cran dans l’université. Des policiers avaient été postés tout autour du restaurant. D’autres étaient positionnés aux différentes entrées du Campus. Il y avait des sifflements du côté du restaurant. Les premiers étudiants s’approchèrent néanmoins pour voir ce qu’il en était. Quelques minutes seulement et le nombre d’étudiants tripla à cet endroit. La nouvelle de la présence des policiers sur le campus circula très vite. En un instant, cette nouvelle se propagea comme une défiance aux étudiants. Ceux qui étaient en classe l’apprirent et abandonnèrent rapidement les salles. Ils coururent vers le restaurant. En un rien de temps, les policiers furent submergés par une horde d’étudiants très excités venant dans tous les sens. Ils voulaient savoir ce que faisaient ces hommes en tenue sur le campus. La foule criait et se bousculait. Les barrières de sécurité dressées par les policiers autour du restaurant allaient céder. Armés de matraques et revêtus de leurs boucliers, les policiers ne pouvaient plus rien devant cette foule incontrôlable. Ils eurent beau frapper les plus proches étudiants, ceux-ci ne reculaient pas. Le chef du contingent demanda du renfort par voie radio. Comme s’ils avaient entendu la future arrivée de ce renfort, d’autres étudiants envahirent le périmètre du restaurant, forcèrent les barrières en fer et les firent tomber. La forte pression arrière projeta les premiers étudiants sur les policiers qui se débattaient maintenant pour s’en sortir. Fautes de soutien, des centaines d’étudiants se ruèrent sur le restaurant. La porte principale céda.
Pendant ce temps, les policiers postés à l’une des entrées principales lancèrent une grenade lacrymogène pour disperser une foule d’étudiants qui essayaient de franchir une barrière de sécurité. « On veut nous tuer ! On veut nous tuer ! » Cria une voix. Dès cet instant, ce fut la panique totale. Les bruits coururent qu’un étudiant avait été atteint par une balle. Désormais la colère était perceptible sur les visages. La rage de détruire s’empara de plusieurs étudiants. Si un démon de destruction existe certainement il en avait possédé des centaines ce jour-là. Ceux qui pénétrèrent accidentellement à l’intérieur du restaurant s’emparèrent des ustensiles, des matériels de cuisine et des meubles qu’ils détruisirent. Ça courait dans tous les sens. Ça criait. D’autres couchés par terre, surtout des filles, pleuraient de douleurs et de blessures. Plus loin, un autre groupe d’étudiants se rua sur la présidence de l’université que les policiers avaient abandonnée. Les étudiants espéraient y trouver le président de l’université qui la veille ne daigna pas répondre à l’appelle de Djakiss, leur leader. Heureusement il n’y était pas. Ils envahirent les bureaux, brisèrent les vitres, saccagèrent les meubles et détruisirent tout sur leur passage comme un Caterpillar. Pour finir, ils mirent le feu au bâtiment.
Le renfort de la police arriva à 10h30. C’était des policiers de la brigade antiémeute. Ils se projetèrent vers les zones stratégiques de l’université. Au fur à mesure qu’ils avançaient, des fumigènes et des gaz lacrymogènes pleuvaient pour disperser les étudiants. Le bruit des gaz lacrymogènes crépitait partout, dans toute l’université. C’était le sauve qui peut dans le camp des étudiants. Ils se marchaient dessus, se piétinaient. D’autres tombaient dans les caniveaux et étaient abandonnés sans secours.
A midi, la rumeur de la mort par balle d’un étudiant au campus A s’empara des autres résidences universitaires. En plus de cela, les étudiants apprirent par on ne sait encore quel moyen, qu’un contingent de policiers avait été mis en mission sur chaque résidences pour les maintenir en place. Mais les étudiants pensèrent que c’était pour les mater. Ce fait occasionna un soulèvement. Très vite, des jeunes désœuvrés et des bandits s’invitèrent dans les résidences non protégés. Ils se livrèrent à leur tâche favorite : vol et pillage. Aucun campus ne fut épargné. Tout fut saccagé. La brigade antiémeute déployée sur tous les sites vint à bout des manifestants seulement vers 14h30. Il y eut plusieurs arrestations. Le triste bilan de cette folle journée noire était énorme.
Tous les restaurants avaient été détruits. Toutes les chambres  étaient saccagées et inhabitables. Les importants amphithéâtres étaient entièrement démolis. Les bureaux de la présidence de l’université étaient partis en fumée. La salle informatique de l’université était vidée de son matériel. Des 10 bus stationnés à la gare de l’université, 3 étaient récupérables. Les 7 autres étaient partis en fumée. Il n’y eut pas de perte en vie humaine contrairement à ce que le faisait croire la rumeur. Toutefois les bousculades avaient engendré plus de 300 blessés, dont 50 dans un état grave. On dénombra aussi des viols. Mais on ne savait pas qui en étaient les auteurs.
Le même soir au journal de 20h, un communiqué du gouvernement condamnait les dérives de la folle journée de trouble à l’université nationale. Sur le champ, le porte-parole du gouvernement annonça la radiation du président de l’université nationale. Un nouveau président fut nommé à la tête de l’université. Le ministre de l’enseignement supérieur fut démis de ses fonctions. Cette nouvelle fut joyeusement accueillie par tous les étudiants. Mais le gouvernement ne comptait pas s’arrêter là. Il annonça qu’une enquête serait diligentée afin de situer les responsabilités de cette folle journée. En attendant, Djakiss et son bureau était détenus à la direction de la surveillance du territoire.
Dès sa prise de fonction au lendemain du communiqué, le nouveau président de l’université fit une annonce aux étudiants de la part de son ministère de tutelle. Compte tenu des nombreux dégâts constatés lors de la journée précédente, il fut décidé de la fermeture momentanée des campus et des résidences universitaires. L’arrêt des cours fut aussi décrété pour permettre de créer les conditions d’une reprise plus calme. L’université fut donc fermée jusqu’à nouvel ordre.



































































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