15/09/2019

ENTRE LES MAINS D'UN AGENT DE SÉCURITÉ A KIGALI

Photo d'illustration

Je n’oublierai jamais ce jour du 2 juin 2019. Pourtant tout commence bien ce matin. C’est le dernier jour d’une mission qui a duré un peu plus de trois semaines à Goma en République Démocratique du Congo. Hier, en prélude de mon retour, j’ai effectué quelques emplettes pour la famille au pays. Une paire de chaussures traditionnelles, deux complets de pagnes dont l’un appelé « Arbre cassé » que ma mère et moi avions cherché à Abidjan sans succès, et quelques autres petites choses. En retournant à l’hôtel après ces achats, une femme me présente un
produit ensaché. Je demande ce que c’est. Le chauffeur répond que c’est de la poudre de gingembre qu'on peut utiliser comme du thé. Je n’hésite pas et je prends un sachet pour 1000 Francs Congolais.

Mon vol pour Nairobi à partir de Kigali est à vingt heures. Je me dois donc de quitter Gisenyi aux environs de treize heures si je veux être à l’heure pour l’enregistrement. Gisenyi c’est la dernière ville du Rwanda faisant frontière avec la RDC. Je me réveille donc de bonne heure pour faire ma petite valise. Je range bien tout et m’assure de ne rien oublier, surtout mes achats de la veille. Je suis prêt à sortir. Comme d'habitude, je jette un dernier coup d’œil avant de sortir de la chambre. Un sachet noir sur lit. Je le saisis et je me rends compte qu’il contient le sachet de gingembre que j’avais acheté la veille. Je retire le petit sachet transparent contenant la poudre de gingembre et je l’introduis à l’intérieur de mon sac d’ordinateur.

Je pars de l’hôtel à midi. Je traverse le poste frontière. Un chauffeur devrait m’attendre de l’autre côté de la frontière pour me conduire à Kigali. Je ne le vois pas. J’en profite pour effectuer les formalités d’immigration. Ça se passe hyper vite. De retour sur le parking,  je ne vois toujours pas le chauffeur. Un gars s’approche de moi et me propose son taxi. Je rejette son offre et lui dis que j’attends déjà quelqu'un, espérant voir la voiture qui m’avait conduit de Kigali à Gisenyi il y a quelques semaines. Cette absence commence à m’inquiéter. Malheureusement, je n’ai pas de puce locale. J’ai du crédit dans ma puce de la Côte d’Ivoire mais les appels n’aboutissent pas non plus. Je ne comprends et commence à réfléchir à un plan B au cas où personne ne vient me chercher. Pour finir, un taxi s’approche et stationne juste à ma hauteur. Le chauffeur descend en hâte et prononce mon nom avec une gestuelle interrogative. Je réponds par l’affirmative et lui demande de confirmer qui l’a mandaté. Il dit non seulement le nom de mon organisation mais aussi le nom de la responsable administrative qui l’aurait contacté pour cette course. Même si ces questions-réponses ne suffisent pas pour me convaincre, le temps est trop avancé pour continuer à me pour l’inspecteur Colombo. Je monte dans le taxi sur l’invitation de mon inconnu de chauffeur et je m’installe en essayant de rester naturel. Pendant ce temps, il soulève ma valise qu’il enferme dans le coffre arrière et s’installe à son tour dans le taxi. Avant de démarrer, il me présente ses excuses pour le retard. Il m’explique que la clé du taxi était restée avec un de ses amis. C’est l’attente de ce dernier qui aurait engendré son retard. Sincèrement, le plus important pour moi en ce moment précis est de ne pas rater mon vol. J’accepte ses excuses. Après un stop assez court à la station, nous nous engageons pour Kigali. J’espère que nous arriverons à temps.

Des quelques questions que j’ai posées à mon conducteur du jour, je comprends qu’il est un grand habitué de la route et précisément de cet itinéraire qu’il fait au moins quatre fois par semaine. Je suis rassuré. Mon stress tombe. Je me concentre donc sur le beau paysage entre Gisenyi et Kigali. Les collines, les vallées, tous les espaces sont exploités et occupés par les cultures. On sent bien que les populations travaillent la terre et produisent pour se suffire. Certains villages ont même des spécialités. Ici on parle de producteurs de thés; là, de producteurs de pommes de terre ; là encore, de producteurs de choux etc. Durant tout le parcours, j’enrichis mes connaissances touristiques tout en gardant en ligne de mire mon voyage. Aussi lorsque nous faisons escale à mi-parcours, je ne permets pas au chauffeur de perdre plus de temps.
Au bout de trois heures trente minutes, nous sommes dans la capitale Rwandaise.

Ici, je me laisse impressionner par la propreté dans la ville. Je contemple l’évolution qu’a connue cette bourgade du pays des milles collines. Effectivement les collines, il y en a au Rwanda. La preuve, tout au long de la route entre Gisenyi et Kigali, le véhicule a parcouru des escarpements qui m’ont donné des sueurs froides. Je suis surtout frappé par l’absence de nuisance sonore dans cette ville. Pourtant il y a des motards. A la différence de ceux que j’ai vus dans certaines capitales africaines qui utilisent ce type de transport, ceux de Kigali portent tous des chasubles numérotés. Chaque motard dispose d’un casque et il y a un autre pour le passager.

J’aurais aimé faire un tour au Mémorial mais mon temps ne me le permet plus. Je me contente donc d’admirer les importantes bâtisses visibles sur mon itinéraire. Je vois l’ambassade américaine avec une architecture simple mais toujours imposante. Le palais de la présidence du Rwanda ainsi que certains ministères. Bien que je ne sois pas ébloui par ces immeubles, connaissant l’histoire tragique de ce pays de l’Afrique de l’est, je m’émerveille de ses efforts de développement et surtout de l’hygiène environnementale. Je comprends pourquoi Kigali est la ville la plus propre d’Afrique.

Nous arrivons à l’aéroport. A l’entrée, le chauffeur m’invite à descendre. Je suis surpris mais il me dit que c’est le contrôle. Quel contrôle ? J’allais le découvrir. Des soldats armes aux poings me demandent de prendre un autre couloir. Je regarde le chauffeur pour me rassurer comme s’il était plus puissant que ces hommes armés. Il me fait signe d’y aller. Je veux prendre mon sac à main, mais il m’informe que ce n’est pas la peine. Je ne comprends pas, j’obéis.  J’emprunte un couloir long d’environ dix mètres. A ma grande surprise le chauffeur est derrière moi. Je comprends de moins en moins. Il est sensé conduire le taxi. Où est la voiture ? Où sont mes affaires ? Nous passons le contrôle scanner et nous retrouvons en bordure d’une voie. Alors que je m’apprête à lui demander où sont passés ma valise et mon sac à main, je vois le taxi qui avance lentement sans conducteur, sur une plateforme, à l’aide d’un mécanisme que je n’avais encore vu nulle part. Et là, le chauffeur m’informe que le véhicule ainsi que son contenu sont en train d’être passés au scanner. Je réalise alors que dans ce pays, les autorités ne badinent pas avec les questions de sécurité.

Après ce contrôle, le chauffeur me conduit à l’entrée du hall de l’aéroport. Je signe des documents pour certifier que le service a été bien effectué et on se dit au revoir.

Jusque-là, je pensais avoir tout vu. Mais non ! Je n’imagine pas ce qui m’attend .

Au comptoir d’enregistrement, nous sommes moins de cinq voyageurs. Je suis au premier rang. Il semble que les ordinateurs font des caprices. Après quelques minutes d’attente, le chef d’escale, une dame, nous demande de nous asseoir en attendant la résolution de problème technique. Nous nous exécutons. Pendant qu’ils font le travail, d’autres voyageurs arrivent. Certains se renseignent et prennent place sur les sièges dans le hall. D'autres font le rang. Quelques minutes plus tard, le chef d’escale annonce que le problème est résolu. Elle invite les voyageurs à se présenter pour commencer l’enregistrement. Je ne me presse pas et pour finir je me retrouve presque à la queue du rang. Alors je vois le chef d’escale qui s’approche de moi et me demande de passer devant. Elle prend soin d’expliquer à ceux qui sont devant que j’étais déjà là avant eux. Je la remercie et lui dit que cela ne me dérange pas de rester derrière. De toutes les façons nous irons tous ensemble dans le même vol. Toutefois je suis impressionné par cet acte du chef d’escale. C’est tout simplement une belle preuve du respect de l’ordre et des clients. Je me demande si à l’aéroport d’Abidjan on aurait traité ainsi un client. D'ailleurs, combien de fois n’a-t-on pas fait attendre des clients sans explication aucune? Bref…  

Tout le processus d’enregistrement se passe bien. Nous nous retrouvons dans une salle d’attente. Et là, pas d’annonces intempestives dans les hauts parleurs. Après une quarantaine de minutes nous sommes invités à procéder au contrôle sécurité en préparation de l’embarquement. Mais alors que je passe le contrôle scanner, mon sac d’ordinateur, qui m’avait devancé dans la machine, est confisqué par un agent de sécurité. Il y aurait dans mon sac un objet suspect. Je suis stupéfait puisque j’ai moi-même fait mes valises. Serein, j’arrive devant le garde-frontière. Il me commande de me mettre à l’écart pour vérifier le contenu de mon sac. Sur son instruction, je vide mon sac d’ordinateur. Un à un je sors ordinateur, livres, disques dur, câbles, téléphones portables, pâte dentifrice, brosse, etc. L’homme en tenue prend chaque objet et le scrute minutieusement en tournant dans tous les sens. L’air sérieux qu’il arbore à la fois m’indispose et m’effraie d’autant plus qu’il fouille même entre les pages de chaque livre. Il tourne, retourne, secoue dans tous les sens chaque objet en le rapprochant de son nez. Devant le sérieux de l’agent, je deviens nerveux. Lorsqu'il tombe sur le sachet de poudre de gingembre, il le tourne, le sens et me demande ce que c’est. Je réponds qu’il s’agit de la poudre de gingembre. Il fait la moue et se tourne vers un autre collègue en uniforme à qui il montre le sachet. Je ne sais pas ce qu’ils se disent mais l’autre remue la tête de gauche à droite comme pour dit non. Lorsque je vois son geste, mon cœur bat la chamade. Serait-ce interdit de transporter du gingembre ? Ne serait-ce pas du vrai gingembre ? L’homme en tenue me rejoint et me demande de tout ranger à l’exception du sachet contenant la poudre de gingembre. Je m’exécute. Il m’invite à repasser le sac dans le scanner. Lorsque le sac revient de la machine, il jette un coup d’œil sur le collègue qui scrute l’écran. Ce dernier lui fait un signe de la tête pour dire que c’est bon. L’agent m’invite à mettre le sachet dans le sac d’ordinateur. Enfin ! Je respire à nouveau. Pourtant ce n’est pas fini. L’homme en uniforme m’intime l’ordre de le suivre. Là, je commence à ne pas comprendre ce qui se passe. Je ne me reproche rien, pourtant je suis là, mon sac entre les mains d’un agent de sécurité du Président Kagamé me demandant de le suivre. Quelques pas seulement et il dépose mon sac sur un tapis. Il se dirige ensuite dans un coin de la salle et ouvre une cage. Un chien d’une race que je n’ai pas le temps d’identifier en ressort. Et là, mon activité cérébrale s’intensifie. Je réalise que je suis confronté à un chien détecteur. Immédiatement, mes intestins bouillonnent ; je suis saisi de tremblement. Pétrifié, j’ai l’impression d’être dans un film américain. A peine sorti de sa cage, le chien renifleur fonce sur mon sac. Il enfonce son museau partout, renverse le sac dans tous les sens et tourne autour tout excité. De ma position, j’entends même la puissance de sa respiration ainsi que ses reniflements. Alors mon cerveau balance et je suis pris de vertige. Je fais un effort pour tenir sur mes pieds. Mais je faiblis lorsque je réalise n’avoir pas ouvert le sachet pour vérifier son contenu. S’agit-il réellement d’une poudre de gingembre ? Et si la poudre de gingembre était mélangée avec de la drogue ? Et si le chien renifleur, mal dressé ou fatigué, se trompe et donne un mauvais verdict. Et si, et si… et si l’on m’arrête ici pour transport d’une substance interdite ? Pendant que le canin est à l’œuvre et que mes glandes surrénales génèrent une quantité infinie d’adrénaline, l’homme armé ne me quitte pas des yeux. Je n’arrive plus à tenir sur mes pieds. Je fais quelques pas imprécis et pour m’asseoir sur la banquette à proximité. Pantois, je commence à me demander si mon voyage n’est pas compromis. Pendant que je pense à un probable scénario dans lequel je suis prisonnier à Kigali, le canidé arrête brusquement ses agitations. Langue pendante, la queue surélevée, il tourne le regard vers l’agent qui le reconduit dans sa cage. Au retour, il m’invite à reprendre mon sac. Je suis délivré.

Assis dans un coin de la salle d’embarquement, je repense encore à la scène du chien en attendant l’annonce du vol. Cependant, je me demande si ce n’est pas le moment de me débarrasser de ma fameuse poudre de gingembre en la jetant dans une des poubelles disposées dans la salle d’embarquement. Fallait-il continuer avec ce fameux sachet au risque de vivre le même scénario à l’aéroport de Nairobi. Je ne sais pas ce que vous feriez à ma place, mais je retiens qu'à Kigali, il y a vraiment du sérieux dans tout.


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