J'ai lu successivement 3 livres d'Amadou Hampâté Bâ et comme promis dans une de mes
publications du week-end dernier sur Twitter, j’encre ici le compte rendu de ma
lecture de 3 livres d’Amadou Hampâté Bâ. Il s’agit de ''L’étrange destin de
Wangrin'', ''Vie et Enseignement de Tierno Bokar'' et ''Amkoullel l’enfant peul''.
Comment ai-je acquis ces livres ?
C’était au deuxième semestre de
l’année 2018, pendant mon séjour au Mali, précisément à Bamako. J’étais assis
dans un restaurant avec des collègues, pour le déjeuner. Et comme c’est souvent le cas
dans nos villes, les vendeurs ambulants inondent les restos pendant les heures
de pause, car ils espèrent trouver là de généreux clients. Ainsi, pendant que
j’attendais paisiblement ma commande, un vendeur de livres fonça directement
sur notre table. Mes collègues étaient prêts à le congédier quand je lui fis
signe d’approcher. En fait, depuis un moment, je cherchais une librairie sans
en trouver de digne dans la capitale malienne – ce n’est que plus tard que j’eus connaissance de
l’existence de la Librairie Bah, une vraie. Je perçus donc la présence de ce jeune vendeur comme une aubaine. En fait, ce sont les livres
qui, ayant remarqué ma disette livresque, se livraient à moi. J’en ai donc choisi quatre qui se trouvèrent, par la suite, être du même auteur. Il faut donc comprendre que ces livres sont dans ma PAL depuis l’année dernière tout comme d’autres y sont encore aujourd'hui.
l’existence de la Librairie Bah, une vraie. Je perçus donc la présence de ce jeune vendeur comme une aubaine. En fait, ce sont les livres
qui, ayant remarqué ma disette livresque, se livraient à moi. J’en ai donc choisi quatre qui se trouvèrent, par la suite, être du même auteur. Il faut donc comprendre que ces livres sont dans ma PAL depuis l’année dernière tout comme d’autres y sont encore aujourd'hui.
Premier contact avec Hampâté Bâ
Je dois cependant confesser que je
n’avais encore jamais lu aucun livre d’Hampâté Bâ. C’est en cette année-là, en 2018,
que j’ai lu un premier ouvrage de cet écrivain émérite. Le titre : ''Aspect
de la civilisation Africaine'', une œuvre de recherche à tendance philosophique
qui tire son inspiration des sociétés bambara et peul dont est issue l’auteur.
J’avais alors apprécié les réflexions que l’homme y avait développées à propos
de la tradition africaine, de la sagesse, de l’Homme, de Dieu et de la Vie. En
son temps, je me souviens encore, la lecture de ce livre de moins de 100 pages m’avait
permis de découvrir son idéologie, son approche théologique et son combat pour la culture africaine. Aujourd'hui, je
le comprends beaucoup mieux.
Pour revenir à ces 3 livres
Comprenons d’abord que les faits dans ces livres se déroulent entre la deuxième moitié du 19ème siècle et la
première moitié du 20ème siècle dans le territoire qui deviendra plus tard le
Soudan français. Les limites territoriales que nous connaissons aujourd'hui
n’existaient pas encore. Les infrastructures routières étaient inexistantes. Les
communications téléphoniques, n’en parlons pas. La vie socio culturelle des
peuples africains était marquée par un respect strict de la tradition alors que
l’islam d'abord et la colonisation française ensuite commençaient à gagner du terrain? Voici donc dressé, le contexte…
Dans l’ordre de ma lecture, commençons par ''L’étrange destin de
Wangrin''
Comme l’indique le titre, ce
roman relate la vie de Wangrin; de sa naissance ordinaire à sa minable
mort en passant par son extraordinaire ascension sociale. Cet homme espiègle aura su utiliser son savoir et ses relations pour se hisser au sommet de la classe sociale, non sans faire mordre la poussière à ses maîtres-ennemis, les colons blancs. Adulé par les pauvres qu’il nourrissait et revêtait au détriment des plus nantis, Wangrin ne demeurait pas moins l’ennemi des administrateurs de l’époque. Mais comme on le dit souvent, nos vrais ennemis se comptent toujours parmi ceux qui nous sont proches. Au comble de sa vie, il ‘’mangera son totem’’. Mais alors, contrairement à plusieurs qui auraient maudit êtres et dieux, l’exceptionnelle personnalité de Wangrin se révélera dans la décrépitude.
mort en passant par son extraordinaire ascension sociale. Cet homme espiègle aura su utiliser son savoir et ses relations pour se hisser au sommet de la classe sociale, non sans faire mordre la poussière à ses maîtres-ennemis, les colons blancs. Adulé par les pauvres qu’il nourrissait et revêtait au détriment des plus nantis, Wangrin ne demeurait pas moins l’ennemi des administrateurs de l’époque. Mais comme on le dit souvent, nos vrais ennemis se comptent toujours parmi ceux qui nous sont proches. Au comble de sa vie, il ‘’mangera son totem’’. Mais alors, contrairement à plusieurs qui auraient maudit êtres et dieux, l’exceptionnelle personnalité de Wangrin se révélera dans la décrépitude.
L’auteur, dans cette œuvre, certes
exécute les vœux d'un homme qui fut son ami ; mais il ne manque pas de nous
ouvrir les yeux sur le véritable pouvoir discrétionnaire dont disposaient les
administrateurs des temps coloniaux. Ces blancs appointés par la France
représentaient à la fois le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif et le poumon
économique dans les colonies. Par ce triptyque, ils gonflaient et dégonflaient
les indigènes à leur guise. Mais Wangrin, armé de son intelligence et de ses ''protecteurs invisibles'', dénouait toujours les intrigues en sa faveur.
Ce livre m’a aussi révélé que l’introduction
de l’école dans les colonies consistait à créer une classe d’indigènes capables
de comprendre les ordres et les faire respecter, non pour leur bien mais pour
la gloire de la mère patrie, la France. Dès lors, on imagine bien l’ardente irritation
que pourrait ressentir ces blancs-blancs lorsqu'un blanc-noir les faisait
prendre à leur propre piège.
Parlons maintenant de ''Vie et Enseignement de Tierno Bokar''
En véritable témoin de son époque,
l’auteur n’a pas voulu garder le silence sur l’histoire des personnes qui ont
eu une influence morale et spirituelle sur sa vie. Parmi ces derniers, il faut
citer Tierno Bokar qui fut à la fois un maître et un père pour Amadou Hampâté
Bâ.
L’histoire de Tierno Bokar
commence avec celle de son géniteur El Hadj Omar Tall, au milieu du 19ème siècle.
El Hadj Omar Tall est un érudit musulman nourri à la sève de la Tidjaniya lors
de son pèlerinage à la Mecque. Lorsqu'il est nommé Khalife de cette branche
sunnite, il retourne en Afrique de l’ouest et lance le djihad. En grand conquérant,
il étendra son empire et son enseignement de la guinée au Sénégal en passant
par l’ancien territoire du mali actuel. Il sera freiné dans sa quête par la
montée en puissance des français, eux aussi, à la conquête de l’Afrique. Replié
dans une grotte, il ne sera pas retrouvé.
Par la suite, la descendance du Cheickh, dont fait partie Tierno Bokar, s’installera à Bandiagara. Le jeune Tierno recevra là l’enseignement des grands maîtres soufis de son époque. Il créera ensuite la première école coranique au royaume des toucouleurs à Bandiagara. Amadou Hampâté Bâ et son frère puîné feront d'ailleurs partie de ses premiers élèves. Cet homme pacifique riche de connaissance mourra plus tard dans un total isolement. Et qui aurait orchestré cet isolement? Je vous laisse deviner.
Par la suite, la descendance du Cheickh, dont fait partie Tierno Bokar, s’installera à Bandiagara. Le jeune Tierno recevra là l’enseignement des grands maîtres soufis de son époque. Il créera ensuite la première école coranique au royaume des toucouleurs à Bandiagara. Amadou Hampâté Bâ et son frère puîné feront d'ailleurs partie de ses premiers élèves. Cet homme pacifique riche de connaissance mourra plus tard dans un total isolement. Et qui aurait orchestré cet isolement? Je vous laisse deviner.
Ce livre est d’une qualité
historique impressionnante. Lorsque je l’ai lu, j’ai découvert non seulement la société ouest
africaine de l’époque mais aussi la manière dont s’est opérée la pénétration de
l’islam en Afrique noire. A côté de cela, la théologie de Tierno Bokar révèle
une toute autre dimension de la religion qui devrait, au-delà des diversités, prôner
la foi, la charité et la fraternité. Il faut lire ce livre pour apprécier et
être baigné de la sagesse qui s’y dégage.
Je dois avouer que ce livre m’a remué.
Il m’a permis de faire une introversion sur la spiritualité. Sur ma
spiritualité. A quel niveau suis-je ? Ma spiritualité est-elle tournée
vers mon prochain ou vers moi-même ? J’ai dû quelques fois pauser le livre
pour m’inviter à la réflexion.
Enfin, ''Amkoullel l’enfant peul''
Après avoir parlé de son maître (Vie
et enseignements de Tierno Bokar) et de son ami (l'Etrange destin de Wangrin),
l’auteur nous parlera de sa propre vie dans ce roman de 448 pages. En fait, il est beaucoup plus question de sa
famille que de lui-même. Il parle de son père, initialement destiné au trône, mais qui pour finir deviendra un simple bouché. Ensuite, c’est un hommage qu’il rend à sa mère.
Une femme déterminée qui n’hésitera pas à prendre les pires risques pour aller
jusqu'à retrouver son mari dans les prisons coloniales. Et lorsque ce dernier,
Tidjani, sera ignominieusement déporté loin de sa patrie, Bandiagara, c’est
cette même dame qui n’hésitera pas à tout abandonner pour le suivre à Bougoumi.
Ainsi, petit enfant, Hampâté Bâ partagera
avec ses parents, les douleurs morales des périodes d’humiliation. Toutefois,
grâce au sens des affaires qu’a développé sa mère, il ne connaîtra ni dénuement
ni disette jusqu'à la libération de son père adoptif. Mais alors que la famille se réinstalle dans
sa terre natale pour un heureux retour, la famille connaîtra un nouvel
éclatement.
C’est donc dans cette instabilité
de la cellule familiale que grandira le jeune Hampâté Bâ. Heureusement son éducation
religieuse et culturelle sera entre les mains d’un érudit, maître coranique,
Tierno Bokar. Mais à l’âge de 12 ans, il sera brutalement arraché à son monde
pour être envoyé à l’école des blancs. Mut par un soudain désir de devenir un grand
chef afin de laver l’affront fait à ses parents, il finit par accepter l'enseignement des blancs. Il est classé parmi les meilleurs élèves de sa génération et est
appelé à entrée à l’école des élites africaines d’entant. Pourtant,
il ne suivra pas le chemin qu’il aurait souhaité emprunter. Allez-y comprendre
pourquoi.
Dans ce roman, pullulent des
inestimables leçons de vie. Ici, chaque acteur est un pinceau avec lequel Hampâté
Bâ peint des tableaux dans lesquels les glorifications côtoient les
humiliations. Mis côte-à-côte, ces tableaux forment un décor exposant le véritable sens de la vie. Une vie dans laquelle les maîtres
peuvent à tout moment devenir des esclaves et vis-versa. En somme, une vie qui
n’est que vanité comme le prône l’ecclésiaste.
Pourquoi je fais ce compte rendu ?
Je n’avais pas prévu la rédaction
d’un quelconque compte rendu de ces livres. Cependant, quand je termine la lecture
du troisième livre, ''Amkoullel l’enfant peul'', le ravissement de mon âme,
face à de si belles lettres, finit par me convaincre de le faire. Je ne pouvais donc pas ne pas rendre hommage à
la générosité intellectuelle de l’auteur. J’ai passé d’excellents moments
d’édification avec ces trois livres et, ne pas vous les conseiller serait de ma
part, une trop grande ingratitude livresque.
En guise de conclusion
J’ai adoré le style simple d’Amadou
Hampâté Bâ est simple. On n’a pas besoin de traîner sur soit un dictionnaire
pour comprendre son langage. Il n’y a pas un seul chapitre dans lequel il
n’utilise pas des expressions imagées et inspirées de son quotidien.
En le lisant, on comprend très tôt qu’il a l’expérience de l’oralité. Il manie
la langue française et trouve des mots pour exprimer l’inexprimable. Par
exemple lorsqu'il décrit le jour qui voit naître Wangrin, au premier chapitre
de ''L’étrange destin de Wangrin'' on ne reste pas indiffèrent à la poésie qui
se dégage de son texte. Dans ''Amkoullel l’enfant peul'' alors qu’il s’apprête
à monter dans la pirogue qui doit le mener à son premier emploi, il trouve des
mots simples pour décrire la silhouette de sa mère s’éloignant de la berge. En
tout cas, après la lecture des trois livres dont je viens de vous parler, je
m’éblouis et de la sagesse de l’homme et de la richesse culturelle de
l’Afrique.
Amadou fils de Hampâté Bâ fut un
véritable témoin de son époque. Il nous a parlé, et par les écrits, il continue
de nous parler de cette belle mais douloureuse époque qui forgea sa
personnalité. Sa insatiable mémoire ne l’aura lâché que sur quelques minces
détails qu’il reconnait d’ailleurs lui-même. Alors, à nous qui avons bénéficié
de ses écrits, la voix silencieuse de l’auteur ne tambourine-t-elle pas dans
nos entrailles et dans notre indifférente conscience, cette question : Que
laisseras-tu comme héritage culturel à la future génération ?
A bon entendeur salut !
A la prochaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci envoyer vos commentaires