Depuis des années, je ne regardais presque plus la télé sauf à l’heure
du journal télévisé et plus particulièrement les soirs du jour où siège le
conseil des ministres. Je prenais réellement du plaisir à écouter les
communiqués du conseil des ministres. D’une part, je trouvais les nominations qui
y émanent très marrantes si bien que je
me demande toujours sur quelle base celles-ci sont faites. En effet, des
personnes sorties de nulle part et quasi inconnues du public étaient très
souvent bombardées à des postes importants et stratégiques.
On croirait même qu’il s’agit d’une loterie dans laquelle les personnes sont tirées au pif à chaque qu’il y a un besoin. D’autre part, les communiqués du conseil des ministres me donnaient une idée de la direction dans laquelle nos autorités mènent le pays. En fait, le pays sortait d’une grave crise politique qui avait cloué son économie au sol, alors que ses voisins entamaient un décollage économique. La guerre civile qui a éclaté il y a de cela quelques années avait entrainé la fermeture de plusieurs entreprises les petites et les grandes y compris. Celles qui étaient encore en activité de façon légale avaient procédé à des mises en chômage technique de plusieurs employés, accroissant du coup le nombre de chômeurs et par ricochet le taux du chômage déjà galopant qui était le plus élevé de la sous-région. A côté de celles-là, d’autres entreprises, exerçant dans l’illégalité et le trafic, s’alliaient aux autorités gouvernementales et politiques en vue de perpétuer leurs obscures activités, ruinant davantage l’économie nationale. De ce fait, ces patrons d’entreprise reversaient périodiquement des espèces sonnantes et trébuchantes dans les profondes poches noires de leurs alliés au pouvoir. Ils savaient bien qu’ils jouaient à un jeu dangereux, toutefois que pouvaient-ils encore? Mouillés jusqu’au cou, complices du pouvoir en place, ils ne pouvaient plus faire volteface au risque d’être déclarés ennemis d’état. La règle en la matière était claire : « Ou vous continuez avec les autorités en place ou vous ne composerez plus avec aucun autre pouvoir dans ce pays. ». Cette expression anodine, résonnait encore dans mon esprit comme au jour où mon ami Roger Dima l’avait prononcée pour la toute première fois. Je m’en souviens encore très bien. Roger m’avait donné rendez-vous au restaurant que nous fréquentions tous les deux pour le déjeuner aux heures de pause. De l’urgence de son appel, je compris qu’il avait quelque chose de très important à me partager. Sans hésiter je m’y étais rendu.
On croirait même qu’il s’agit d’une loterie dans laquelle les personnes sont tirées au pif à chaque qu’il y a un besoin. D’autre part, les communiqués du conseil des ministres me donnaient une idée de la direction dans laquelle nos autorités mènent le pays. En fait, le pays sortait d’une grave crise politique qui avait cloué son économie au sol, alors que ses voisins entamaient un décollage économique. La guerre civile qui a éclaté il y a de cela quelques années avait entrainé la fermeture de plusieurs entreprises les petites et les grandes y compris. Celles qui étaient encore en activité de façon légale avaient procédé à des mises en chômage technique de plusieurs employés, accroissant du coup le nombre de chômeurs et par ricochet le taux du chômage déjà galopant qui était le plus élevé de la sous-région. A côté de celles-là, d’autres entreprises, exerçant dans l’illégalité et le trafic, s’alliaient aux autorités gouvernementales et politiques en vue de perpétuer leurs obscures activités, ruinant davantage l’économie nationale. De ce fait, ces patrons d’entreprise reversaient périodiquement des espèces sonnantes et trébuchantes dans les profondes poches noires de leurs alliés au pouvoir. Ils savaient bien qu’ils jouaient à un jeu dangereux, toutefois que pouvaient-ils encore? Mouillés jusqu’au cou, complices du pouvoir en place, ils ne pouvaient plus faire volteface au risque d’être déclarés ennemis d’état. La règle en la matière était claire : « Ou vous continuez avec les autorités en place ou vous ne composerez plus avec aucun autre pouvoir dans ce pays. ». Cette expression anodine, résonnait encore dans mon esprit comme au jour où mon ami Roger Dima l’avait prononcée pour la toute première fois. Je m’en souviens encore très bien. Roger m’avait donné rendez-vous au restaurant que nous fréquentions tous les deux pour le déjeuner aux heures de pause. De l’urgence de son appel, je compris qu’il avait quelque chose de très important à me partager. Sans hésiter je m’y étais rendu.
-
Alors raconte ! Lui dis-je
après les salutations et une gorgée de la limonade qui venait de m’être servie.
-
Grégoire mon ami, tu ne me croiras
pas. Commença-t-il. Je viens du bureau du Ministre des Sports.
Sur ce, je me demandais depuis quand mon ami Roger côtoyait-il le monde
du sport ? Il a toujours eu une aversion pour les sportifs de ce pays
surtout pour les footballeurs et leur fédération. Combien d’argent l’état n’avait-t-il
pas déversé dans les caisses de cette fédération qui ne gagnait toujours aucune
Coupe d’Afrique des Nations malgré de multiples participations. En tout cas, si
la CAN se gagnait par le nombre de participations, notre équipe nationale
aurait engrangé de nombreuses médailles et de nombreux trophées. A chaque CAN des millions de Francs CFA étaient
investis dans le football par les instances internationale et nationale. Mais
notre pays ne faisait qu’aligner les échecs. D’espoir en désespoir nous avons tous
fini par ne plus croire en l’équipe nationale. Et dire que ces joueurs dits
professionnels, évoluant dans les plus grands championnats européens, faisaient
la fierté de leur club. Pour preuve, aucune semaine ne passe sans que les
attaquants ne s’illustrent dans leur club respectif. Cependant, lorsque venait
le temps de le démontrer en sélection, ses joueurs devenaient méconnaissables. Les
échecs successifs de l’équipe nationale avaient fini par entrainer l’abandon
des stades et le manque de soutien. Sauf quelques-uns comme moi gardaient
encore l’espoir de voir un jour notre sélection nationale remporter le trophée
continental. Roger Dima lui était de ceux qui n’osaient même pas entendre
parler de football. J’étais donc surpris qu’il me parle d’avoir rencontré la
plus grande autorité sportive de notre pays à savoir le Ministre des Sports.
Ayant senti mon étonnement, Roger me rassura.
-
Rassures-toi Greg, ce n’était pas
pour parler sport ou football car tu me connais bien. C’était plutôt pour parler
business.
Je comprenais de moins en moins et pourtant je n’osai par
l’interrompre. Roger poursuivit.
-
Tu sais qu’il y a un projet de
construction d’un nouveau stade dans la capitale ? J’esquissai de la tête
pour dire Oui.
-
Il y a longtemps j’ai acheté une
portion de terre et pas des moindres dans les environs du quartier où doit se
construire le nouveau stade. Dès que j’appris la nouvelle de la construction de
ce stade, j’ai entamé les démarches pour obtenir le permis de construire d’un
complexe hôtelier étoilé sur ma parcelle. Mais voici maintenant plus de 18
mois, que les rendez-vous se succèdent sans aucun résultat. J’ai déposé tous
les documents qui m’ont été exigés. J’ai payé tous les droits requis. Jusque-là
rien. Alors pour finir, j’ai pris rendez-vous avec Monsieur le Ministre des Sports
en personne. J’allais solliciter son appui espérant qu’il verrait en mon business
une belle opportunité pour le monde sportif. Tu ne croiras pas ce qu’il m’a dit.
Monsieur le ministre me dit qu’il attendait lui-même de me recevoir. Selon lui j’avais
fait le pas qu’il fallait en venant vers lui. Il m’a même dit qu’il ne
comprenait pas pourquoi un homme intelligeant comme moi n’avait pas réalisé
plutôt que c’était lui le début et la fin de mon projet. C’est alors que Monsieur
le ministre me dira que son Excellence le Président de la République en
personne avait été mis au courant de mon « très beau » projet.
Aussi souhaitait-il que ce projet soit mis sous la bannière de son parti
politique et des actes du gouvernement actuel. Je ne comprenais pas très bien ce
qu’il voulait dire par « bannière du parti » mais visiblement Monsieur
le ministre n’attendait pas que j’y ajoute un mot puisqu’il continua en me
disant que je devais coopérer car sinon je perdrais purement et simplement le
terrain au profit d’une personne mieux disposée à coopérer avec l’état dans la
perspective du Président de la République. Et M le ministre de finir en
disant : « M Dima, réfléchissez bien : Ou vous continuez avec
les autorités en place ou vous ne composerez plus avec aucun autre pouvoir dans
ce pays.».
Je n’en croyais pas mes oreilles. Mais Dima n’était pas du genre à inventer
des histoires. Nous sommes ensemble depuis des années et il était bien sérieux.
De toutes les façons, cela ne me surprenait pas car j’avais déjà entendu des
histoires identiques de quelques compères. Pourtant quelques semaines après
notre entrevue, Roger décéda dans un terrible accident de la circulation alors
qu’il se rendait dans son village natal. Sa mort était-elle naturelle ? Je
ne sais. Je sais seulement que Roger n’avait nullement envie d’entrer dans le
deal que lui avait proposé M le Ministre. Surtout pour ce qui est de se mettre
sous la bannière d’un quelconque parti politique. Ce que je soutenais
d’ailleurs. Aurait-il donné un feedback à la requête de Monsieur le
Ministre d’une manière ou d’une autre qui aurait fait croire qu’il
refusait d’adhérer à ces propositions? Cela non plus je ne le sais. Dans tous
les cas, le souvenir de la mort de Roger me revient toujours à chaque fois que
je vois défiler sur le petit écran un des ministres du gouvernement. Et au lieu
de la colère, c’est plutôt un sentiment de honte qui m’habite. Honte de mon
pays, et plus précisément honte de ces dirigeants qui ne pensent qu’à leur
ventre au lieu de penser au peuple qui souffre.
Assis devant mon poste téléviseur, je pensais encore à mon ami Dima Roger
alors que le porte-parole du gouvernement prononçait le communiqué du dernier
conseil des ministres. Au titre du Ministère de l’Economie et des Finances, le
porte-parole du gouvernement annonçait que la Banque Mondiale venait d’octroyer
un prêt de 111 milliards à l’état pour l’aider à faire face à sa dette
intérieure. Ce qui signifiait que les factures des fournisseurs de l’état
seraient liquidées très bientôt. Voici encore des milliards qui étaient
annoncés. Iraient-ils aux pauvres entrepreneurs qui avaient eu le malheur d’être
des fournisseurs de l’état ? Heureusement, je ne faisais jamais affaire
avec l’état. Je garde toujours à l’esprit que l’état est un mauvais payeur.
Pour nous autres petits entrepreneurs qui vivons presqu’au jour le jour en ces
périodes de vaches maigres, je ne vois pas comment nous pourrions survivre avec
nos familles si nous devrions attendre plusieurs mois pour nous faire payer nos
factures.
Aussitôt l’annonce faite, la sonnerie de mon téléphone portable retentit.
Je décroche. Djéhéba Agnin au bout du fil, m’annonce avec joie que sa galère
prendra fin bientôt. Je n’avais pas toute suite fait le rapprochement avec le
communiqué qui venait d’être annoncé mais je fini par comprendre sa joie. Djéhéba
Agnin était un compère le tout contraire de moi. Lui ne faisait affaire qu’avec
l’état. Ces dernières années, ses affaires prospéraient très bien jusqu’à ce
que survienne la crise. Sa société et son domicile avaient été ciblés,
vandalisés, pillés dès les premières heures de la crise. Du jour au lendemain
il avait tout perdu sauf la vie bien sûr. Lorsque je lui rendis visite à son
domicile quelques jours après que le calme soit revenu au pays, il était assis
sur une chaise rembourrée dont le tissu sale et déchiré laissait entrevoir la
mousse brunie par un usage déjà trop prolongé. Les pilleurs n’avaient trouvé
aucun avantage à prendre cette chaise - Heureusement d’ailleurs sinon mon ami
serait assis à même le sol ce jour-là. Devant lui était posé sur un tabouret, un
poste téléviseur dont on avait du mal à cerner le son. La petite télévision
diffusait des images striées en noir et blanc. Il me raconta plus tard que la
télé lui avait été léguée par son père lorsqu’il fut admis au baccalauréat. En
ce temps-là, sur le campus, il était l’un des rares étudiants à posséder une télévision
dans sa chambre d’étudiant. Par nostalgie, il avait toujours gardé cette télé
qui jusqu’avant le pillage de son domicile était utilisée par son gardien. Les
pilleurs ayant certainement jugé la télé démodée, l’avaient abandonnée tout
comme la chaise rembourrée. Ainsi donc, du jour au lendemain, du haut de son
titre de Directeur Général respecté et respectable d’une petite entreprise
florissante, Djéhéba Agnin avait été réduit à rien. Celui que tout le monde
appelait « mon fils » était sans père ni mère. Ne dit-on pas que « Lorsqu’un
enfant réussit il est le fils de tout le village. Mais lorsqu’il échoue, il est
le fils de son père uniquement ». La situation de Djéhéba Agnin était
pire. Ruiné, il n’était le fils de personne. Toutes ses connaissances, ses
parents et amis l’évitaient. Plus personne ne connaissait le chemin de son domicile
sauf moi. J’avais entendu parler de lui et de sa société mais je ne le
rencontrai personnellement que quelques semaines après les incidents de pillage
qui étaient survenus dans la capitale. Sa situation m’attristait mais
maintenant j’étais heureux de l’entendre joyeux au téléphone.
-
Greg ! Ne dit-on pas « Tant
qu’on vit il y a de l’espoir. » ? Poursuivit-Djéhéba Agnin au
téléphone.
-
Oui ! C’est vrai. Répondis-je.
-
Tu comprends pourquoi il est bien
de faire affaire avec l’état. Tôt ou tard tu reçois ton salaire. Avec l’état,
juste la patience…
Tellement excité, Djéhéba Agnin continuait à parler au téléphone. Et
moi je l’écoutais et partageait sa joie. Pour finir, il me demanda si
j’accepterais de l’accompagner au Conseil Economique et Social situé au
centre-ville. Selon le communiqué du Porte-Parole, tous les fournisseurs de
l’état étaient conviés à une importante séance d’information sur la procédure
de paiement des factures échues.
3 jours plus tard, avant 8h30
nous étions dans la cours du Conseil Economique et Social. La place était déjà
noire de monde. A l’approche de l’heure annoncée pour la réunion, les portes de
la salle principale étaient encore fermées. Ce qui provoqua la colère parmi les
nombreux chefs et ex-chefs d’entreprises venus savoir l’issue de leurs factures
échues depuis plusieurs années déjà. A voir la foule, je me demandais si toutes
ces personnes étaient des fournisseurs de l’état. Auquel cas, serais-je le seul
qui ne fasse pas affaire avec les services publiques ? Il est 10h15, enfin
les portes de la salle principale s’ouvrent. Nous nous installons après
quelques bousculades comme des gamins. Pendant ce temps, d’autres qui n’ont pas
eu la force d’accéder à la salle, restent dehors pour suivre l’intervention de
l’envoyé du Ministère de l’Economie et des Finances. Le chef du cabinet du
ministre, envoyé du Ministre de l’Economie et des Finances, de manière claire
et distincte, exposa sur la procédure et les documents nécessaires pour
faciliter le payement. Je jette un coup d’œil à Djéhéba Agnin qui me retourne
un sourire pour confirmer qu’il est bien à jour et qu’il a tout ce dont le chef
du cabinet vient de faire mention. Le paiement pour Djéhéba Agnin selon les
catégories annoncées par le chef de cabinet, se ferait par virement bancaire
sur un des comptes qu’il indiquera pour ce faire. Le formulaire de demande de
paiement qui doit être retiré au secrétariat de la paierie nationale devra
préciser le montant et le numéro de compte du bénéficiaire. Toutefois et avant
de conclure, le chef de cabinet du Ministre avait annoncé que la liste
définitive des récipiendaires ne serait publiée que la semaine suivante par son
secrétariat après vérification des dossiers précités. En effet, suite à un audit
général conduit dans les différents ministères dès la fin des hostilités,
certaines opérations avaient été reconnues comme frauduleuses et donc ne
seraient pas payées. « L’état, avait ajouté le chef du cabinet du Ministre,
en ces temps où nos compatriotes souffrent, a le devoir de faire bon usage des
fonds à lui alloués par la Banque Mondiale. Nous ne pouvons donc pas nous permettre
de payer pour des biens et services fantômes c’est-à-dire qui n’ont pas été
fournis ». Cette dernière souleva un tohubohu dans la salle. Certains y
voyaient une manipulation et une magouille pour éliminer de façon abusive des
dossiers. Quant à Djéhéba Agnin, il avait perdu sa sérénité du début. Même s’il
était rassuré d’avoir bel et bien fournit les biens et services pour lesquels
il sollicitait paiement, il avait peur d’être victime d’une certaine combine de
la part des autorités. En plus, maintenant il n’avait aucune attache avec les
hommes forts du pouvoir. Mais j’étais là pour le rassurer. Heureusement
d’ailleurs... Deux valent mieux qu’un.
La semaine suivante, après de nombreux vas-et-viens au cabinet du
Ministre de l’Economie et des Finances, au secrétariat de la paierie nationale
et même aux bureaux des agences et services auprès desquels il avait effectué
des travaux et fournit des biens, les dossiers de Djéhéba Agnin avaient été
confirmés crédibles. Ils ne souffraient d’aucune fioriture. Il recevrait bel et
bien son magot de 62 millions 3 cent 80 mille FCFA dans son compte après
déduction de toutes les taxes. Et ce dès que le Ministre de l’Economie et des Finances
auraient signé l’ordre de virement « A son retour de mission dans 3
jours» avait précisé le secrétariat de son cabinet. J’imaginais déjà la
sensation qui habitait mon ami. En ce qui me concerne, j’espérais obtenir un
petit prêt de la part de Djéhéba Agnin. Prêt qui me permettrait de renforcer
mon fonds de commerce. Même si mon ami décidait de me donner ne serait-ce que
500 mille francs CFA cela ferait mon affaire. Je n’avais quand même pas mis à
sa disposition ma Volkswagen Golf pendant tous ces jours pour rien. Comme le
disent les Anglais « Good is never lost » - « Le bienfait n’est
jamais perdu. ». Connaissant les retards dans nos administrations, Djéhéba
Agnin avait proposé que nous attendions la semaine entière avant de nous rendre
à la banque pour encaisser l’argent. En attendant, il devrait prendre quelques
devis pour rééquiper sa maison dès qu’il serait en possession de son pactole. Quant
à moi, je prendrais quelques jours pour me consacrer à mes affaires à 100%. En
effet, depuis le communiqué et l’appel téléphonique de Djéhéba Agnin qui s’en
suivi, je n’avais passé que quelques heures par jour au bureau.
Le lundi suivant, à 9h, j’étais devant le portail de Djéhéba Agnin pour
le rendez-vous. Les multiples klaxons de ma Volkswagen Golf n’avaient pas sorti
mon ami de son logis. Je décidai alors d’arrêter le moteur de la citadine et d’entrer
dans la cour puis dans la maison. Je trouvai Djébéba Agnin en pleine discussion
avec une femme qu’il me présenta comme son ex-femme. Je ne l’avais pas connue
auparavant mais si c’était celle dont il ne finissait pas de me parler, et dont
j’avais vu les photos, elle était bien différente. La jeune dame amaigrie, les
cheveux défraichis tenus en queue de cheval derrière la tête par un petit
élastique rouge dont on percevait mal la couleur, était assise sur la seule
chaise du salon. Elle était vêtue d’une jupe en Jean délavé et d’un tee-shirt
polo vert dont les 3 boutons s’étaient échappés laissant entrevoir
distinctement les clavicules de la jeune dame. Catherine, car c’était son nom
était de retour dans le foyer conjugal qu’elle avait quitté quelques semaines
seulement après l’éclatement de la crise et le pillage qui s’en suivi. Les
Zougloumen[1] disent
que « lorsque la pauvreté entre par la porte, la femme sort par la
fenêtre ». La femme de Djéhéba Agnin n’avait rien trouvé d’autre que de le
quitter nuitamment, emportant avec elle les derniers billets de banques que
Djéhéba Agnin venait de retirer de son compte épargne pour pouvoir faire face
aux dépenses courantes de la maison. Visiblement, elle ne souhaitait pas
partager son mari avec dame misère. C’est cette même Catherine, dans une
condition encore plus misérable, qui était là, sollicitant la miséricorde de celui
qu’elle avait précédemment dépouillé. Etait-elle sincère ? Au moment où je
franchissais la porte de la maison, Catherine presqu’à genou implorait Djéhéba
Agnin:
-
Chéri, j’ai été cupide. Je
reconnais mon erreur mais sache que je t’aime. Seulement quelques heures après
mon départ de la maison, mon cœur criait ton amour. Tu me manquais tellement
que je pleurai des jours et des nuits ne sachant comment me racheter. J’avais
honte de mon acte et j’avais peur que tu me repousses. C’est par les multiples
encouragements d’une amie que j’ai pu braver ma peur et ma honte pour me rendre
ici ce matin. Ne me rejette pas. Pense à….
-
Stop ! Lança Djéhéba Agnin qui
en avait marre de ces baratins même si au plus profond de lui-même il aimait la
jeune dame dont il n’avait jamais cessé de penser.
-
Dis plutôt que tu es revenue à
cause de l’argent. Continua-t-il. Tu as appris que les fournisseurs de l’état
seront payés alors tu t’es empressée de venir me voler encore… Femme
matérialiste, cupide et voleuse. Dis la vérité.
-
Non chéri ! je n’ai ni
télévision ni radio là où j’étais alors comment saurais-je ? S’il te plait
je suis sincère. Je suis ici pour obéir à l’appel pressant de mon cœur
souffrant de l’absence de ta présence. Je t’aime et je me suis rendue compte
que je ne peux vivre sans toi. J’accepterais même d’être ta servante le temps
de rembourser ce que je t’ai pris. L’essentiel étant de vivre auprès de toi
pour toujours.
Les larmes qui coulaient de ses yeux et parcouraient ses maigres joues pour
finir silencieusement sur le menton, ainsi que les reniflements successifs et
constants qui faisaient monter et descendre les épaules de Catherine vainquirent
Djéhéba Agnin. Ne pouvant plus résister à ce masque à la fois triste et tendre que
présentait Catherine, il lui demanda de repasser le lendemain pour en discuter
à tête reposée parce qu’il avait des courses à faire. Mais elle décida
d’attendre jusqu’à ce qu’il revienne le soir. Catherine ne voulait plus le
quitter. Mon ami n’insista pas. Je compris alors que le regard de Djéhéba Agnin
ne trahissait pas ses sentiments. Il aimait encore Catherine. Ah l’amour, le
vrai… Il pardonne tout.
A la banque, le virement n’était pas encore effectif. Le compte de
Djéhéba Agnin présentait toujours un solde négatif qui s’était d’ailleurs accru
ces derniers mois. Sans aucune autre forme de commentaire, nous nous
transportons au secrétariat de la paierie nationale. Là on nous demande de nous
rendre au secrétariat du cabinet du Ministre pour en savoir plus. Ici, c’est
une jeune dame qui nous reçoit.
-
Monsieur, je vous demande d’être
encore patient. Votre virement sera fait très bientôt. N’oubliez pas que vous
n’êtes pas le seul dans ce cas.
-
Madame, s’il vous plait,
pourriez-vous nous donner une date approximative pour ne pas que nous ayons à
défiler ici tous les jours ? Demanda Djéhéba Agnin.
-
Aucune idée. M le Ministre signe
les chèques et les ordres de virement tous les jours en plus de ses tâches et
activités quotidiennes. Vous comprendrez que ce n’est pas aussi aisé pour lui.
-
Merci, je vous appellerai donc de
temps en temps. Pourrais-je avoir votre numéro madame ? Mademoiselle ? (il ne savait pas quel
titre utiliser).
Mais au lieu de donner son numéro, la jeune dame demanda plutôt le
numéro de Djéhéba Agnin ainsi que les détails de son dossier afin de pouvoir faire
un suivi personnel et nous tenir informer dès qu’elle aurait plus d’information.
Avant que nous la quittions, la secrétaire se présenta à nous comme mademoiselle
Sosa Solange.
Le même jour, aux environs de 17h le téléphone de Djéhéba Agnin sonne.
C’était Mademoiselle Sosa. Elle souhaitait nous rencontrer. Avait-elle déjà eu des
informations sur le dossier de mon ami? En tout cas, cela en avait tout l’air.
Et pour une surprise s’en était une. Mademoiselle Sosa accepta de venir vers
nous. Nous nous croisons donc au bar du quartier. Droit au but elle alla :
-
Messieurs, de mon poste de secrétaire,
j’ai souvent des avantages auprès du Chef du Cabinet du Ministre. D’ailleurs
c’est mon amant et il ne peut me refuser certaines requêtes.
Elle nous raconta qu’elle n’a pas été insensible à notre détresse le
matin lorsqu’elle nous a vus. Alors après notre départ elle s’est rapprochée du
chef du cabinet pour avoir le statut de notre paiement et si quelque chose
pouvait être fait pour accélérer le virement. Le chef du cabinet lui avait dit
qu’en ce moment même le Ministre ne signait que les chèques et que si nous
étions réellement pressés il négocierait pour que nous soyons payés par chèque.
Cependant, il allait falloir « mouiller la barbe » du chef pour
se faire.
-
Combien? s’empressa de demander
Djéhéba Agnin alors que je lui faisais signe en tapant ses pieds sous la table.
-
En général, les gens donnent 10
voire 15% de leur paie mais pour vous je pourrais le convaincre d’accepter 5
millions car je vous ai déjà présentés comme des amis de quartier.
Je me demandais si Mademoiselle Sosa n’était pas en train de nous faire
un coup. J’aurais voulu que Djéhéba Agnin lui dise que nous allons nous concerter
avant de donner notre point de vue mais il était déjà dans le deal. Il voulait
recevoir son argent le plus tôt et si possible le lendemain.
-
Mademoiselle Sosa, dites au chef
de cabinet que c’est d’accord. 5 millions c’est bon. Je passe demain pour
prendre le chèque ?
-
Merci Monsieur, ce sera fait. A
demain.
Lorsque la secrétaire du chef du cabinet nous eut quittés, Djéhéba Agnin
était tout excité à l’idée d’enfin percevoir son argent. Personnellement je me
méfie des affaires de ce genre. J’essayai par tous les moyens de convaincre mon
ami que c’était un abus de pouvoir et qu’il se rendait complice de corruption.
-
Pourquoi payer pour recevoir ton
argent ? Et pourquoi maintenant te payer par chèque alors que tu devrais
être payé par virement bancaire ? Ne vois-tu pas que tout cela est
louche ?
-
Greg, nous ne sommes pas à
l’église. Jésus n’ai pas encore à la porte donc pardon, ne me fatigues pas avec
tes leçons d’éthique. Dans ce monde, si tu ne le sais pas, les affaires sont
les affaires. L’argent appelle l’argent et qui ne risque rien n’a rien. C’est
quoi 5 millions de FCFA à côté de ce que j’attends. Dès que j’aurai mon argent
je rattraperai ces 5 millions en moins de 2 mois d’activité.
-
Mon frère, je sais que tu pourras
rattraper cet argent même en une semaine mais ce n’est pas pour autant que tu dois
accepter ce chantage. Et mademoiselle Sosa a vu que nous étions des proies
faciles. A ta place je donnerais un autre rendez-vous à Mademoiselle Sosa, et
alors qu’elle serait en train de répéter tout son blablabla moi j’enregistrerai
sur un dictaphone. Après cela j’irais directement la dénoncer elle et son soit
disant amant. Ensuite je porterais plainte pour escroquerie et tentative de
corruption.
-
Et tu crois que quelqu’un te
croirait ? Répliqua Djéhéba Agnin. Personne ne te croira. Si comme tu dis,
il y a corruption alors ce n’est pas une simple secrétaire qui est à la base
mais tout le système. Si c’est le cas laisse-moi te dire mon frère Greg,
Mademoiselle Sosa n’est que la partie visible de l’iceberg dont la partie
invisible et immergée plonge ses tentacules jusqu’au-delà du Chef de cabinet
lui-même. S’il te plait, allons-nous coucher.
Toute la nuit je réfléchi aux dernières paroles de Djéhéba Agnin et je
repensai encore à Roger Dima. J’avais encore mes 40 ans devant moi donc mieux
valait ne pas me mettre en danger. Je décidai de ne plus revenir sur cette
affaire.
Le lendemain matin, Mademoiselle Sosa appela Djéhéba Agnin. Elle
souhaitait nous rencontrer encore au même lieu pour des précisions sur le
paiement. A l’heure pile, nous étions au même endroit. Mademoiselle Sosa prit
la parole.
-
J’ai voulu vous rencontrer car ce
genre d’affaire ne se discute pas au téléphone. Alors, comme je vous l’avais
promis, Monsieur le Ministre vous établira le chèque. D’ailleurs le chèque est
déjà prêt. En sortant du bureau du ministre ce soir, le Chef de Cabinet m’a confirmé
que le ministre a signé le chèque. Demain donc, vous viendrez avec la somme de
5 millions de Francs CFA cash à mon bureau. Je vous introduirai auprès du chef
de cabinet et vous en sortirai avec votre chèque.
C’était rapide. Djéhéba Agnin était émerveillé par le dynamisme de la
jeune dame et la rapidité avec laquelle elle avait géré le problème. Il
remercia mademoiselle Sosa et lui donna rendez-vous le lendemain. Mais en
chemin, alors que je lui demandais comment il obtiendrait ces 5 millions, c’est
plutôt vers moi que mon ami se tourna :
-
Greg, voici la situation. Tes
activités tournent encore. Alors tu paies les 5 millions de FCFA demain et moi
dès que j’encaisse mon chèque je te rembourse.
Je savais que Djéhéba Agnin n’avait que moi comme ami mais je ne
m’attendais pas à payer cette amitié à 5 millions FCFA cash. Pas de chèque. Pas
de virement. Que du cash. Cela était impossible. Où trouverais-je 5
millions FCFA maintenant? J’expliquai à Djéhéba Agnin que nous devrions
plutôt chercher la solution ailleurs car je n’étais pas du tout solvable. Et
même si je voulais prendre un crédit à la banque cela ne se ferait pas en moins
d’une semaine vu tous les papiers requis en la matière. C’était donc le moment
de renoncer à ce projet et attendre tranquillement le virement intégral.
-
Greg ! tu veux que maintenant
je dise à Mademoiselle Sosa que je renonce parce que je ne peux pas payer 5
millions FCFA alors que je lui ai donné ma parole et que le ministre a déjà
signé le chèque ? Non ! Dis-moi que tu plaisantes. Sinon alors,
j’aurais fait tout cela pour rien. Si tu ne peux m’aider alors j’irai chercher
la solution ailleurs.
Ce soir-là nous nous sommes séparés en queue de poisson. Et lorsque
Djéhéba Agnin m’a quitté il alla se jeter dans les bras de Catherine avec
laquelle il s’était réconcilié entretemps. Il expliqua la situation de son
paiement à Catherine. Celle-ci lui proposa d’appeler l’ami de son cousin qui était
usurier. Le lendemain matin, Seydou Babatchê n’eut pas de mal à mettre à la
disposition de Djéhéba Agnin les 5 millions. En retour, il avait pris soin de
préciser que Djéhéba Agnin rembourserait avec un taux de 20% soit 6 millions de
Francs CFA pour les 5 millions FCFA. D’après Seydou Babatchê c’était un taux
préférentiel parce qu’il était le mari de la cousine à son ami et qu’il allait
aussi rembourser le jour même. Sinon pour ce montant en cash il aurait fallu
rembourser à un taux compris entre 25 et 30%. Par ailleurs, par mesure de précaution,
il accompagnerait Djéhéba Agnin pour le retrait et l’encaissement du chèque. En
effet, plusieurs qui avaient sollicité les services des usuriers, fuyaient et
ne remboursaient pas la somme due dès qu’ils étaient en possession de leur revenue.
De son bureau situé au deuxième étage, mademoiselle Sosa pouvait voir
presque tous les mouvements dans les environs du ministère de l’économie et des
finances grâce à un écran couleur positionné à sa gauche. Plusieurs cameras
étaient disposées à des coins stratégiques dont le parking principale. Ainsi à
notre descente de la Volkswagen Golf, l’un des vigiles vint à notre rencontre
et nous conduisit directement dans le bureau de mademoiselle Sosa sans que nous
n’ayons à passer par la salle d’attente dont nous faisions usage lors de nos précédentes
visites. Aussitôt, mademoiselle Sosa fit pénétrer Djéhéba Agnin dans le bureau
du Chef de Cabinet du ministre qui visiblement attendait notre arrivée.
Heureusement que nous étions à l’heure. Quelques minutes plus tard, Djéhéba Agnin
sorti du bureau du Chef de Cabinet et me retrouva dans le bureau de la
secrétaire. Il remercia la jeune dame avec un sourire qui ne me semblait pas du
tout naturel et nous quittâmes les lieux. Alors que nous nous dirigions vers le
parking, Djéhéba Agnin me raconte qu’il avait vu son chèque mais n’avait pas pu
l’obtenir. La raison : le Chef de Cabinet demandait lui aussi sa part. En
fait, les 5 millions de FCFA indiqués par mademoiselle Sosa étaient destinés à
Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances lui-même. Lorsque Djéhéba
Agnin remis l’argent au Chef de Cabinet, celui-ci alla voir le Ministre et revint
avec un grand registre dans lequel Djéhéba Agnin accusa réception de chèque. Il
accusa aussi réception sur une copie du chèque. Mais à sa grande surprise, au
lieu de lui remettre le chèque, le Chef de Cabinet expliqua qu’il fallait que
Djéhéba Agnin paie aussi quelque chose avant de recevoir le chèque. Ce quelque
chose était encore la somme de 5 millions FCFA cash. « Monsieur, vous avez
fait le plus dure. Le chèque est maintenant en de bonnes mains et vous
l’avez-vous-même vu. Faites juste ce petit effort et vous aurez votre chèque
dès que possible afin de jouir du fruit de vos labeurs. » Avait
laissé entendre le Chef du Cabinet comme si, en réclamant 5 millions FCFA, il
était lui-même en train de jouir du fruit de ses labeurs ou du fruit des labeurs
des autres. Pourquoi les hommes sont-ils méchants ? Pourquoi les pauvres
qui cherchaient à s’enrichir restaient toujours pauvres et pourquoi les riches
qui étaient déjà dans l’opulence s’enrichissaient encore davantage au détriment
des pauvres ? Djéhéba Agnin nous expliqua qu’il n’avait d’ailleurs pas le
choix car c’était une faveur qui lui était faite de recevoir son chèque du côté
du Ministère de l’Economie et des Finances. Selon le Chef de Cabinet, si son
paiement était transféré à la paierie nationale, les pourcentages auraient été
plus élevés. Dès lors, nous n’avions pas d’autre choix que de nous en remettre encore
à Seydou Babatchê. Heureusement d’ailleurs qu’il était avec nous. Seydou Babatchê
nous indiqua qu’il avait encore de l’argent en sa possession. Il pourrait
remettre 5 millions FCFA à Djéhéba Agnin aux mêmes conditions que précédemment.
Ouf ! Nous étions soulagés. Cela redonna le sourire à Djéhéba Agnin. Seydou
Babatchê compta les billets de 10000FCFA et les plaça en liasses de 1 million
FCFA. Au total, 5 liasses qu’il remit à Djéhéba Agnin dans une enveloppe kaki
de format A4. Celui-ci donna un coup de fil à mademoiselle Sosa qui ne tarda
pas à l’annoncer à Monsieur le Chef du Cabinet du ministre. L’opération fut
rapidement menée. Pourtant, lorsqu’il revint du deuxième étage pour la seconde
fois, Djéhéba Agnin grommelait toujours énervé.
-
Pourquoi le genre humain est-il si
mauvais. Pourquoi ? Pourquoi ?
Nous ne comprenions rien mais cela ne tarderait pas. Djéhéba Agnin se
tourna vers Seydou à nouveau.
-
Seydou Babatchê, aurais-tu encore
de l’argent ? Je m’excuse mais tu restes mon seul espoir.
-
Que se passe-t-il ?
demandais-je car je ne comprenais pas pourquoi Djéhéba Agnin avait encore
besoin d’argent alors qu’il était censé être en possession du chèque.
-
Vous ne pourrez pas imaginer.
Reprit Djéhéba Agnin. Greg tu avais raison. Et je prie que ce ministre ainsi
que sa clique de chef de cabinet et secrétaire pourrissent en enfer. Comprendriez-vous
que lorsque je suis monté à son bureau la seconde fois, le Chef du Cabinet a
pris l’argent, les 5 millions de FCFA, et au lieu de me remettre le chèque, me demande de le retirer avec Mlle Sosa sa
secrétaire ? Celle-ci à son tour exige sa part du gâteau. A savoir 2
millions 5 cent mille FCFA. Sans quoi le chèque serait perdu car me dit-elle
« C’est grâce à elle que mon paiement a été possible ». Je suis donc
obligé de débourser encore 2,5 millions cash sinon je perds mon argent.
Cette dernière me mis hors de moi. J’étais à bout et je ne pouvais pas
accepter cette escroquerie déguisée. Furieux, je me tournai vers Djéhéba Agnin.
-
Que comptes-tu faire ? Débourser
2,5 millions FCFA? Enfin, dis-moi que je rêve. A ce rythme qu’est ce qui
restera de ce paiement? Non ! j’irai directement voir au bureau du
ministre pour faire du bruit. Il faut que ces escrocs de bons à rien abusant de
leur pouvoir soient dénoncés immédiatement.
Sans attendre aucune autre réaction de qui que ce soit, je sautai de
mon siège et couru en direction de l’immeuble. Djéhéba Agnin, me courait après
suivi de Babatchê. Les bruits de pas et les interpellations de Djéhéba Agnin
alertèrent les agents de sécurités à l’entrée principale. D’ailleurs l’un d’eux
ne tarda pas non plus à nous poursuivre. Sans le vouloir nos mouvements
allaient provoquer un grand vacarme dans le hall du ministère de l’Economie et
des Finances. Les uns se demandaient ce qui se passaient alors que d’autres prenaient
leur jambes à leur coup en direction des différents couloirs. Il aura fallu la
vigilance de l’un des agents de sécurité posté dans le hall pour me stopper.
Toutefois, je n’arrêtais pas de crier mon râle le bol de ces autorités
corrompues qui nous dirigeaient.
-
Quoi ? Parce que personne ne
dit rien, ils croient que nous ne les voyons pas. Criais-je encore plus fort alors
que les deux agents de sécurité m’avais saisi et me tiraient vers le parking.
Dehors, de curieux badauds assoiffés de nouvelles à faire circuler dans
la capitale étaient attroupés autour de la clôture. Personne ne savait pas trop
ce qui s’était passé mais j’étais persuadé que mes dernières paroles n’avaient
pas laissé insensibles certains visiteurs dans le hall du Ministère de
l’Economie et des Finances. Alors que j’essayais maintenant de garder mon
calme, les gardiens ne cessaient pas de me demander ce qui se passait. Mais je
ne souhaitais pas répondre aux questions. Promenant le regard à gauche et à
droite, je n’apercevais plus Djéhéba Agnin et Babatchê. Les gardiens ayant
réalisé que je ne m’occupais plus vraiment de leur questionnement m’introduisirent
dans la voiture et me demandèrent de sortir de la cours. Au même moment, du
côté de l’immeuble, je vis sortir du hall Babatchê et Djéhéba Agnin qui
pressaient les pas vers la voiture.
-
Allons-nous-en d’ici s’il te
plait. Lança Djéhéba Agnin lorsqu’ils parvinrent à monter dans la Volkswagen
Golf.
Je ne dis aucun mot et démarrai la voiture qui se faufila entre les
autres voitures du parking. En quelques minutes, nous nous retrouvions sur la
voie principale. C’est alors que je vis Djéhéba Agnin sortir de sa poche un
bout de papier qu’il inspecta des yeux comme pour s’assurer qu’il n’y avait
aucune anomalie. «Ouf ! Enfin » souffla-t-il. C’était le fameux
chèque qu’il avait reçu des mains de mademoiselle Sosa elle-même après avoir
payé les 2,5 millions FCFA.
A cette période de la journée, la circulation était fluide car on
n’était pas une heure de pointe. Il nous a fallu donc moins d’une demi-heure
pour rallier la banque. Djéhéba Agnin se dirigea directement vers le premier
guichet, suivi de Babatchê dans son boubou marron. Après quelques minutes, il
avait terminé son opération et récupéré un reçu imprimé des mains de la
caissière. Ensuite, il se tourna vers Seydou Babatchê qui le suivait comme son
ombre.
-
Seydou, je voudrais te dire merci
pour aujourd’hui dit-il. Sincèrement sans toi je ne sais si j’aurais pu retirer
ce chèque. Tu as été tellement spontané et disponible que je ne sais comment te
remercier. Je viens de déposer le chèque, dès que mon compte sera crédité à la
date de valeur, nous viendrons ensemble pour que je te rembourse ton argent.
-
Mais pourquoi ? Tu ne retires
pas l’argent maintenant ? Demanda Seydou.
Djéhéba Agnin expliquai alors à Seydou qu’en fait le chèque était non
endossable et au nom de sa société. De ce fait, il fallait le déposer sur le compte
de la société et attendre que le compte soit crédité avant de faire un retrait.
Cela pourrait prendre encore 2 à 3 jours ouvrables. Alors Seydou Babatchê précisa
que sans remboursement immédiat de la part de Djéhéba Agnin, il serait dans
l’obligation d’emprunter de l’argent ailleurs afin de satisfaire d’autres clients
comme lui. De ce fait, il était obligé de revoir le taux d’intérêt de 20% à
30%. Avions-nous encore le choix ? Babatchê n’avait pas tort même si ce
taux était clairement trop élevé. Ce n’était pas légal. Mais je me demandais
encore si ce mot « Légal » avait de la valeur dans notre
société corrompue et possédée par le démon de l’argent, Mammon.
3 jours plus tard, nous étions à la banque. A notre arrivée, Seydou
était déjà en place. Avant de renseigner le formulaire de retrait, Djéhéba
Agnin fit un tour chez son Chargée de Clientèle afin de demander sa position.
Après quelques pianotage sur le clavier de l’ordinateur, la Chargée de
Clientèle car c’était une dame, l’informa qu’il avait sur son compte la somme
de 61 millions 350 mille. Dès lors, il lui dit merci et se rendit directement au guichet privilège
pour demander un retrait de la totalité de la somme indiquée. A sa grande
surprise la caissière lui annonça qu’il ne pouvait pas retirer le montant
indiqué et qu’il devrait se rapprocher de son Chargée de Clientèle pour en savoir
plus. Djéhéba Agnin sortit de la salle du guichet privilège d’un pas rapide.
Seydou Babatchê qui attendait patiemment avec moi dans la salle d’attente
vitrée à côté du guichet, se leva lorsqu’il le vit sortir. Mais d’un signe de
la main, Djéhéba Agnin lui fit comprendre qu’il revenait. A nouveau, La Chargée
de Clientèle du compte de Djéhéba Agnin confirma qu’il avait effectivement 61
millions 350 mille mais qu’il ne pouvait retirer que 38 millions 500 mille. Le
reliquat étant bloqué pour le remboursement du prêt qui lui avait été alloué pour
un projet quelques semaines avant la crise qui éclata dans le pays. Djéhéba Agnin
se souvenait bien de ce prêt et du projet en question qui n’avait d’ailleurs
jamais vu le jour. En effet, l’une des conditions du marché qui avait joué en
sa faveur était la capacité de financement sur fond propre au stade initial. En
ce temps, Djéhéba Agnin avait alors sollicité l’aide de la banque et une ligne
de crédit lui permit d’acheter tout le matériel et les équipements afférents à
ce projet. Ce sont ces matériels qui avaient été pillés. Dès lors, le marché
lui avait été retiré conformément au terme du contrat vu son incapacité à
entamer le marché et considérant l’état d’insécurité dans le pays. Plus tard, étant
préoccupé par les problèmes du quotidien, Djéhéba Agnin avait perdu de vue ce
gros prêt. « C’est injuste » marmonna-t-il. Mais il fallait
rembourser l’argent de Seydou Babatchê. Au moins, le solde de son compte lui
permettait de le faire et de rester digne vis-à-vis de cet inconnu qui lui avait
permis de régler les « frais de retrait du chèque » s’il faut
l’appelé ainsi.
La gorge nouée, Djéhéba Agnin reprit péniblement les escaliers qui
menaient au guichet privilège. Etait-il vraiment privilégié ? Se
demandait-il. Depuis l’annonce du Ministre de l’Economie et des Finances, les
jours du calendrier consommaient non seulement ses forces mais aussi ses finances
non encore acquises. Il reçut néanmoins avec
fierté les 38 millions 500 mille. C’était de l’argent gagné à la sueur
de son front. Lorsqu’il sortit de la salle du guichet privilège, Djéhéba Agnin
entra directement dans la salle vitrée où je me trouvais avec Babatchê qui
n’attendait que de recevoir son argent. Nous étant mis à l’abri des regards dans le coin gauche,
partie invisible de l’extérieur, Djéhéba Agnin compta 16 millions 250 mille et
les donna à Seydou qui les reçu avec joie et nous remercia avant de nous
quitter. En regardant partir Seydou, je me demandais comment ces gens
pouvaient-ils avoir autant d’argent liquide en possession ? Ne
travaillaient-ils pas avec des banquiers ? N’est-ce pas notre argent en banque qui nous est prêté par
ces usuriers ? Bref…
Djéhéba Agnin était toutefois satisfait de ses 22 millions 250 mille de
FCFA. C’était le fruit de la patience mais aussi du courage. De l’argent
proprement gagné. Pour savourer sa victoire sur la pauvreté, Djéhéba Agnin me
proposa de nous arrêter dans un restaurant chic pour un déjeuner copieux. Je ne
me suis pas fait prier car je le méritais aussi. Après le déjeuner, il fit le
plein de mon réservoir d’essence et me demanda ensuite de le conduire dans la
plus grande galerie commerciale de la capitale. Il fit le tour des électroménagers,
de la décoration et de l’ameublement. En quelques minutes, des garçons
chargèrent une camionnette de cuisinière à gaz, réfrigérateur, télévision,
Lecteur DVD, fer à repasser, machine à laver, climatiseurs, salon en cuir,
complet table à manger vitrée, lit de 3 places, Matelas orthopédique, etc..
Alors que la camionnette se dirigeait vers l’adresse que leur avait indiquée
Djéhéba Agnin et qui était celle de sa résidence, il me pria encore de
l’accompagner dans une boutique de lingerie et de vente de pagnes. En route, il
appela Catherine pour lui donner le détail de la cargaison qui arrivait. Il en
profita pour annoncer à sa femme que l’argent avait été retiré et que pour
célébrer cela, je dînerais avec eux le soir même. Pour l’occasion, elle devrait
donc prévoir 3 couverts. Au magasin de lingerie et de pagnes, Djéhéba Agnin fit
quelques belles emplettes pour Catherine. Après toutes ces courses, Djéhéba
Agnin avait encore assez d’argent pour s’acheter une voiture d’occasion et
louer puis équiper un nouveau local afin de relancer ses activités
professionnelles. Il ne savait pas s’il travaillerait toujours avec l’état mais
c’était trop tôt pour décider. Il voulait profiter de l’instant présent. J’avais
l’impression que Djéhéba Agnin prenait une revanche contre la parenthèse
misérable qu’il avait connu ces dernières années. Et il n’avait pas tort.
Lorsque nous entrions dans la maison nouvellement équipée, il était un
peu plus de 18h. La maison respirait un nouveau parfum. C’était le parfum de
l’argent. Les jeunes gens de la galerie avait fait un travail remarquable de
professionnel en installant tous les équipements et les décorations là où il
fallait. Nous n’avions rien à changer. C’était parfait. Djéhéba Agnin appela le
nom de Catherine mais elle ne répondit pas. Visiblement sa femme n’était pas à
la maison. Toutefois, la table avait été dressée comme il avait demandé. C’était
suffisant pour mon ami et moi. Après le dîner, je pris congé de Djéhéba Agnin
qui me remit une enveloppe de 1 millions en guise de reconnaissance.
21h30, la télévision écran LED de quarante-huit pouces distillait la
voix sensuelle de la camerounaise Charlotte Bipanda d’une façon claire et limpide
dans les baffles du home cinéma nouvellement acquis. Djéhéba Agnin assis dans
les fauteuils en cuir ciré de couleur beige prenait du plaisir en sirotant un
jus d’orange fraichement sorti du réfrigérateur Samsung. Seul le brusque
grincement du portail qui s’ouvrit lui fit comprendre qu’il n’était pas dans un
hôtel 4 étoiles aux Iles Bahamas. Djéhéba Agnin se leva donc et se dirigea vers
la porte principale avec sourire dans l’espoir de voir sa Catherine. Mais
c’était plutôt 4 jeunes gens accompagnés de Catherine, qui se présentèrent à
lui. L’un était armé d’un pistolet AK-47 et le pointait directement sur Djéhéba
Agnin. Dehors une camionnette attendait. D’une voix calme, Catherine demanda à
Djéhéba Agnin de ne faire aucune résistance et de leur donner les millions qui
restaient en sa possession. Alors que le gaillard tenait maintenant en joue
Djéhéba Agnin, Catherine demanda à ces acolytes, de vider la maison de son
contenu et de tout mettre dans la camionnette. Djéhéba Agnin voulu s’adresser à
sa femme mais le coup de pied direct du gaillard sur sa poitrine fut plus
rapide que le mouvement de sa langue dans son palais. Sur le coup, la douleur
le fit se plier en deux et il faillit vomir. Tenant sa poitrine comme si cela
pouvait soulager la peine qu’il ressentait, Djéhéba Agnin conduisit le gaillard
dans sa chambre et vida de son sac des liasses de billets de banque. Catherine
ramassa les liasses et les mis dans deux sacs plastiques. Avant de sortir de la
chambre elle s’adressa à Djéhéba Agnin : « Je ne t’aime pas et je ne
t’ai jamais aimé. Vilain garçon. ». Se tournant vers le gaillard, elle
dit : « Occupes- toi de lui ». Djéhéba Agnin urina sur lui-même
voyant sa mort venir des mains du gaillard. Les mots lui manquaient. Il n’avait
même pas eu le temps de réaliser ce qui se passait et de s’en vouloir qu’il
senti une douleur subite lui traverser le corps à partir de sa tête. Le
gaillard lui avait assené un coup sur la tête avec le cross de son arme.
Aussitôt il perdit connaissance et s’écroula. Aux environs de 3heures du matin,
lorsqu’il s’éveilla, Djéhéba Agnin croyait avoir rêvé. Mais la masse de sang sur
le sol, provenant de son crâne lui fit comprendre qu’il ne rêvait pas. Encore
assommé, il resta couché un moment avant de se tenir péniblement sur ses pieds.
Faisant le tour de la maison, il réalisa avec chagrin qu’elle s’était vidée de son contenu. Seule sa
télévision noir et blanc qu’il avait remise dans sa chambre était restée à sa
place. Consterné, le cœur meurtris, Djéhéba Agnin eut un coup de vertige et
s’écroula à nouveau.
7h30, Je suis devant la résidence de Djéhéba Agnin. Le portail est
grand ouvert. Je pénètre dans la cours. Mais le silence qui y règne à cette
heure de la journée me fait penser à un cimetière. Je m’avance néanmoins jusqu’au
seuil de la porte d’entrée. Et là je vois Djéhéba Agnin étendu sur le sol dans
le salon. Je me précipite donc à ses pieds et tente plusieurs fois de le
réveiller. Comme il ne reprend pas connaissance. Je me précipite donc dans la
cuisine et en ressort avec un seau rempli d’eau que je verse sur lui. Djéhéba
Agnin se réveilla et reprit ses esprits petit à petit. C’est alors que ne
pouvant pas le laisser seul dans cet état, je le transportai dans un hôpital de
la place et m’occupai de ses frais hospitaliers avec l’argent qu’il m’avait
donné la veille. Un mois plus tard, Djéhéba Agnin était entièrement remis de
ces douleurs tant morales que physiques. Cependant, il en voulait à Catherine,
au Ministre de l’Economie et des Finances, à son Chef de Cabinet, à
mademoiselle Sosa, à sa banque... Bref, Il en voulait à tous et désirait se
venger mais je lui disais toujours de se calmer. «Tu sais mon frère, lui
dis-je, la vengeance et la rétribution sont à Dieu et non pas à toi. ».
Chaque jour, Djéhéba Agnin en avait marre de la vie et se demandait
pourquoi il n’était pas mort ce soir là où il avait été attaqué. Pourtant, des
rumeurs faisaient état de ce que le Président de la République venait de
prendre d’importantes et courageuses décisions. Ne voulant pas être en marge
comme d’habitude, à l’heure du journal télévisé, Djéhéba Agnin et moi-même nous
installâmes confortablement dans les fauteuils en fer forgé de mon salon afin
suivre le communiqué de la Présidence de République. La première communication
majeure issue du secrétariat de la présidence faisait état de la suspension du Ministre
de l’Economie et des Finances et de tout son cabinet. Selon le porte-parole de
la Présidence des lourds soupçons d’escroquerie et de corruption pesaient sur le
ministre et les membres de son cabinet dans l’affaire de la gestion des fonds
mis à la disposition du pays pour la réduction de la dette intérieure. La
deuxième communication, subséquente à la première, indiquait que le Président
de la République lui-même était désormais en charge du Ministère de l’Economie
et des Finances. Un ministre délégué serait nommé dans les prochains jours. Alors
que Djéhéba Agnin et moi-même sentions comme un air de soulagement après cette
annonce, une troisième communication tombait. Elle indiquait la création d’une
Agence rattachée à la Présidence de la République chargée de la Bonne Gouvernance
et de la Lutte contre la Corruption. A notre plus grand étonnement, le
porte-parole de la Présidence annonçait que le nommé Grégoire Adjibi prendrait
fonction immédiatement à la tête de cette agence nationale. C’était bien mon
nom. Je venais donc d’être nommé à la tête de cette nouvelle structure
nationale pour servir la nation. Comment avais-je été désigné ? C’est ce
que j’allais chercher à savoir afin de me faire une idée du mode et des critères
de nomination que j’avais toujours du mal cerner. En attendant, Djéhéba Agnin
se réjouissait déjà d’être soit mon sous-directeur soit mon meilleur client.
[1] Le Zouglou est une danse populaire créée dans les années 1990 sur les
campus universitaires à Abidjan en Côte d’Ivoire. Les chanteurs du Zouglou sont
appelés les Zougloumen.
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