07/03/2018

VOYAGE LA, C'EST DIEU


"Voyage - là c'est Dieu". Non! ce n'est pas une erreur de langage. C'est bel et bien le français d'Abidjan. Et vous comprendrez pourquoi, en lisant ci-dessous, l'histoire qui s'est déroulée le mardi 06 Mars 2018.
Eh oui! (Pour parler comme Carolyne Da Sylva de C'Midi sur la RTI); Quelle journée que ce mardi 06 mars 2018 ? Pour tous ceux qui ont eu à emprunter l'autoroute du Nord à Abidjan, dans le sens Yopougon-Adjame, ce fut un calvaire. Et plus particulièrement
pour moi qui ai choisi ce jour pour effectuer un voyage dans mon village à Zikisso dans le département de Lakota. Voici quelques semaines que ce voyage est prévu mais à chaque fois reporté pour des raisons indépendantes de ma volonté. La dernière fois que je l’ai annulé c’était la veille, lundi 05 mars 2018. Alors ce jour-là, le mardi 6 mars, il fallait coûte que coûte que je me rendre à Zikisso,  sinon ce n’aurait plus été possible.
Je saute donc dans un taxi aux environs de six heures. Direction, la gare SBTA à Yopougon Siporex. Ici en général, les cars du premier et deuxième départ à destination de Gagnoa sont climatisés. Il faut donc en profiter pour arriver le plus tôt à Lakota afin d’emprunter le premier véhicule en partance pour Zikisso. Je m’installe dans le taxi compteur après une  négociation rapide. Le taximan démarre et la course se fait sans difficulté aucune. Au niveau de la gare de taxi à Yopougon Lavage, je remarque une foule de personnes attendant les taxis woro-woro. Je trouve cela un peu inhabituel. Je pense à un ancien collègue qui a l’habitude d’emprunter ce moyen de transport pour se rendre au service chaque matin. Je me dis qu’il doit certainement être déjà parti. Il n’aime pas le retard. Mon taxi avance sur le boulevard principal de Yopougon. En quelques minutes nous sommes au niveau de la pharmacie Kénéya. Loin devant, au niveau de l’espace Figayo, je remarque un méli-mélo de véhicules. Klaxons de tout genre ; vrombissements aussi brouillants les uns que les autres produisent un concert de musique désagréable aux tympans. A notre approche, j’aperçois des véhicules qui font demi-tour; d’autres qui voulant forcer le passage, oublient les règles élémentaires du code de la route. Les voilà qui roulent sur le trottoir, franchissent les lignes continues pour se retrouver sur la voie opposée. D’autres encore, font marche-arrière feignant de se faire cogner par derrière. Le chauffeur du taxi réalise que c’est un sérieux embouteillage. Il clignote à gauche, braque la direction, franchit la ligne continue et se gare sur le bas-côté à droite. Il tourne sa tête vers moi : « Je ne peux pas continuer ». Je comprends alors que ma course se termine là et que le chauffeur m’invite à continuer à pied (sans me le dire). Cela ne me plaisait pas mais n’avait-il pas raison ? Au fond, au vu de l’embouteillage, je ne suis pas certain que je serais resté longtemps dans ce taxi. Je paie la course et je descends sans mot dire pour faire le reste du chemin à pied. Au passage, j’apprends qu’un gros camion serait  tombé sur l’autoroute du nord, entre Yopougon et Adjamé, s'accrochant dans sa chute avec un taxi compteur et une voiture personnelle. C’est cet incident qui cause sur l'autoroute l’embouteillage dont les effets se répercutent sur les différents ponts d’entrée de la commune de Yopougon. D'ailleurs, c’est toujours ainsi à chaque fois qu’il y a un accident sur l’autoroute. Ne disposant pas de plusieurs voies d’accès aux différents centres commerciaux de la ville d'Abidjan, tous les usagers se voient bloqués sur l'autoroute du Nord. Vivement ce quatrième pont qui reliera Yopougon au plateau. Il permettra certainement de désengorger l'autoroute du Nord.

Je continue ma marche. Quelques minutes,  et je suis à gare SBTA à la Siporex. Deux cars climatisés sont stationnées. Aujourd’hui c’est mardi ; en pleine semaine, la gare n’est pas bondée de monde. Il y a quand même un petit rang devant le guichet de vente des tickets de voyage. Je prends mon ticket ; Il y est mentionné deuxième départ. Je décide donc de prendre place sur les bancs en attendant mon heure. Une trentaine de minutes plus tard, un convoyeur demande s’il y a des passagers pour Gagnoa. Je lève ma main. Il prend mon ticket de couleur violet et me remet un autre ticket de couleur rouge. « Monsieur ! Allez monter dans le car blanc ». Sans me poser de question, je saute dans ledit car avec mon sac à dos. Je suis bien heureux d'avoir la grâce de partir aussi tôt.

Il n’est pas encore huit heures lorsque nous prenons le départ. Le car sort de la gare SBTA. Difficilement, nous nous engageons sur la voie menant au « Carrefour CHU ». Deux files de minicars, de taxis communaux, de pousse pousses, de tricycles et de voitures personnelles se constituent sur la chaussée qui d’ordinaire ne compte qu’une seule voie. Les hommes et les véhicules s’entremêlent, se dépassent et quelques uns manquent même de se cogner. La tension monte entre les conducteurs. Chacun veut passer en premier et personne ne veut laisser passer l’autre. Très vite nous réalisons que nous sommes pris dans un embouteillage duquel nous ne sortirons pas de sitôt. Dans mon fort intérieur je me demande où sont passés les forces de l'ordre. On ne les voit jamais dans ces circonstances pour mettre de l'ordre. Pourtant ce devrait être leur priorité. Bref... Je passe. Les minutes s’égrènent lentement et nous ne bougeons quasiment pas. Jusqu’à dix heures, après environ deux heures que nous sommes sortis de la gare, nous ne sommes pas encore parvenus au niveau de la caserne de la BAE. Notre car continue néanmoins de braver l’embouteillage. Le chauffeur garde son calme. De temps en temps, de son téléphone portable, il appelle ses collègues de la même compagnie pour avoir le pouls de la situation routière à leur niveau.
A quelques mètres de  l’entrée principale de la caserne de la BAE, un chauffeur d’un taxi compteur entreprend une manœuvre pour nous faire « une queue de poisson ». Cela agace notre chauffeur qui finit par menacer le chauffeur de taxi. Un autre conducteur de minicar, derrière le taxi, demande à notre chauffeur de laisser passer le taxi : Une petite discussion s'engage alors entre eux.
  • -          Pardon laisse –le passer ; nous on va avancer aussi, lance le chauffeur du minicar
  • -          Je ne le laisserai pas passer ; nous sommes tous pressés, répond notre chauffeur.
  • -          Toi tu vas à Gagnoa. Nous on va jusqu’à San-Pedro. On doit vite partir car c’est loin d’ici.
  • -          Hey… Je ne laisse pas. Et s’il veut forcer on va s’accrocher ici et tout va finir.
Ils continuent encore de bavarder pendant un bon moment. Je ne sais par quelles circonstances, mais à un moment donné, notre chauffeur lance à son interlocuteur : « Voyage-la c’est Dieu. Si Dieu dis que tu vas arriver, tu vas arriver. Tu es pressé comment comment…c’est Dieu. Donc n’ko, calme-toi » puis il referma la vitre de sa portière comme on ferme une parenthèse dans un texte. Sur ce, le chauffeur de taxi compteur renonce à ses intentions. Nous continuons à avancer comme des caméléons jusqu’à 11h ; heure à laquelle nous parvenons à sortir de cet embouteillage. Nous venons donc de passer près de trois heures entre la gare SBTA de Yopougon et la sortie d’Abidjan à Gesco. Nous nous engageons donc sur l’autoroute après Gesco. Une heure plus tard nous sommes à Ndouci puis à Tiassalé où nous faisons une « pause pipi ». J’en profite pour grignoter un «  Blissi-Tebil ». Quinze minutes après, nous reprenons la route.

 A 13h10, alors que nous approchons la ville de Divo, je reçois un appel de mon grand frère. Nous échangeons. Il me croyait au village depuis la veille. Je lui raconte que j’avais été empêché et que c’est maintenant que je suis en route. Nous rigolons et ensuite il me souhaite bon voyage avant de raccrocher. Cet échange chasse le sommeil qui commençait à alourdir mes paupières. Je me concentre donc sur le petit écran disposé à l'avant du véhicule. De la variété. Des tubes à succès des années 90 à nos jours se succèdent. Chacun dans le véhicule cause et commente avec son voisin. Quant à moi, je ressens  plutôt la nostalgie du bon vieux temps. Lolo Diana, Nst Koffi’s, Monique Séka etc… tous des artistes qui ont bercé mon adolescence. Je sais que certains aujourd’hui ne connaissent pas ces noms. Le car continue de rouler à vive allure. Avec la climatisation, nous ne sentons pas la vitesse. Presque tous, nous avons les yeux rivés sur le petit écran. A un certain moment, le chauffeur émet un coup de klaxon, puis un autre - ce qui fait sursauter certains passagers. Assis sur le siège numéro un, je peux voir tout ce qui se passe devant nous à travers le pare-brise avant. Au loin, j’aperçois deux personnes sur une moto roulant dans le même le sens que nous. La moto bascule à gauche puis à droite sur la chaussée. Le chauffeur du car continue de klaxonner et engage un léger ralentissement. La distance entre la moto et le car se réduit. Le conducteur de la moto, comme s’il n’entendait pas les klaxons,  continue sa manœuvre au milieu de la chaussée. Le car avance toujours. Le chauffeur réduit la vitesse en continuant de Klaxonner. Les coups de klaxon sont continus. Tout à coup, la moto ralenti. Le chauffeur du car freine brusquement. Il est peut être trop tard. Notre véhicule file tout droit sur la moto. Tout à coup, Le mastodonte bascule vers la droite et sort presque de la route. Tous les passagers s’écrient. Le bolide s’immobilise net. On aurait cru que nos voix l’y avaient obligé. Plusieurs se tiennent debout pour bien voir ce qui est arrivé aux personnes sur la moto. Le car les a-t-il touchés ? Sont-ils tombés sur la chaussée? Ont-ils été projetés hors de la chaussée. Le chauffeur saute de son siège et descent… De ma position, je ne pouvais pas voir ce qui se passait à l'extérieur du véhicule. Quelques minutes après, le chauffeur remonte dans le car et le voyage reprend. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. Les deux personnes sur la moto sont indemnes. Ils n'ont pas été touchés par notre véhicule. Chacun des passagers félicite le chauffeur pour la maîtrise dont il vient de faire preuve avec ces motards inconscients.

A quatorze heures, le car SBTA arrive au rond-point de Lakota. Je descends comme prévu et j’emprunte un autre véhicule pour me rendre au village. Fin de mon périple. Plus de sept heures, pour faire le trajet Abidjan-Lakota avec des sueurs froides. C’est là où tu te rends compte que le chauffeur avait bien raison : « Voyage-là c’est Dieu ».

Alors pourquoi ai-je décidé de poster cette histoire?
C'est tout simplement pour soutenir l'attitude de ce chauffeur:. Il était calme depuis notre départ de la gare SBTA à Siporex. Je me souviens, avant même qu'il ait cette altercation avec le chauffeur de minicar, il roulait en suivant sa ligne pendant que les autres automobilistes forçaient le passage et se faufilaient entre les véhicules. Mon voisin ne cessait d'ailleurs d'accuser le chauffeur d’être responsable de notre lenteur. Il le disait inexpérimenté et non doué; raison pour laquelle tous les autres automobilistes nous dépassaient. Je lui disais toujours que le chauffeur savait ce qu'il faisait. Après l'incident de la moto, tout le monde a applaudi le chauffeur. Mon voisin m'a dit: Mon frère, tu avais raison. Il est vraiment bon ce chauffeur".

Soyons donc calmes et sereins lorsque nous tenons la direction d'un véhicule. Quelque soit le contexte et la situation, soyons patients et maîtres de nous mêmes; Nous éviterons certainement des situations dramatiques. Car en réalité, "voyage-là c'est Dieu". 

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